Le stress lié à la vie en milieu urbain ne touche pas que les humains. Les animaux liminaires peuvent également en être victimes, en particulier les oiseaux. De nombreuses études ont été consacrées au stress urbain chez les oiseaux et à ses conséquences, notamment par le chercheur Frédéric Angelier et son équipe. Cet article en est une synthèse.
Étudier les oiseaux en ville
Au cours des dernières décennies, certaines populations d’oiseaux ont dramatiquement décliné dans les grandes villes. Par exemple, le nombre de moineaux à Paris a diminué de près de 90 % entre 2003 et 2017. L’urbanisation peut affecter les oiseaux de nombreuses façons : fragmentation de l’habitat, pollution chimique, sonore et lumineuse, altération des sources de nourriture, etc. Bien que les animaux liminaires fassent preuve d’adaptation aux environnements anthropisés, ils restent sensibles au stress engendré par la ville.
L’équipe de Frédéric Angelier a surtout étudié des oiseaux de trois espèces : moineaux, mésanges charbonnières et merles noirs. Ces oiseaux ont en commun le fait de vivre à la fois en milieu rural et en milieu urbain, ce qui permet d’effectuer des comparaisons. Pour caractériser l’impact de la ville sur les oiseaux, les chercheurs ont collecté plusieurs types de données :
des mesures morphologiques : poids, taille de l’aile et longueur du tarse (le tarse est la « jambe » de l’oiseau) ;
la qualité du plumage, par mesure en laboratoire de la couleur et de la brillance des plumes ;
la taille des télomères. Ceux-ci sont des segments d’ADN situés à l’extrémité des chromosomes. Les télomères raccourcissent de façon normale avec l’âge, mais aussi avec l’inflammation et le stress. Des télomères courts sont associés à un risque plus élevé de maladies et à une longévité réduite ;
la concentration de corticostérone dans le sang et dans les plumes. La corticostérone est la principale hormone de stress chez les oiseaux. S’il est normal et nécessaire d’avoir ponctuellement des poussées de stress lorsqu’il faut fuir ou protéger sa progéniture par exemple, un stress permanent est toxique pour l’organisme. La corticostérone dans le sang reflète le stress à un instant donné. Comme elle est déposée dans les plumes au fil de leur croissance, la concentration de corticostérone dans une plume est un reflet du stress subi par l’oiseau pendant la période de croissance de la plume.
Les oiseaux sont affectés par la ville
Pour étudier l’impact de la ville sur les oiseaux, les chercheurs ont comparé des oiseaux d’une même espèce vivant en milieu rural ou en milieu urbain.
Chez les mésanges charbonnières, les poussins ruraux ont un poids et une taille significativement plus élevés que les poussins urbains. De surcroît, le plumage est plus coloré chez les oisillons ruraux que chez les urbains.
De même, chez les moineaux, l’habitat urbain est associé à une réduction de la taille du corps et de la qualité du plumage chez les poussins (de façon intéressante, on n’observe pas les mêmes différences entre les adultes ruraux et urbains). De plus, l’étude de la concentration de corticostérone dans les plumes montre que celle-ci est plus élevée chez les poussins urbains que chez les ruraux, ce qui signifie que les poussins urbains sont soumis à un stress plus élevé et/ou plus constant que leurs homologues ruraux.
La ville a donc un impact sur les oiseaux. Pour comprendre cet impact et tenter d’y remédier, il faut en identifier les causes. Les principales qui ont pu être mises en évidence sont le stress nutritionnel, le bruit de la ville, l’éclairage artificiel et la pollution chimique.
Le stress nutritionnel
Les résultats précédents montrent que les oiseaux juvéniles sont affectés par la vie urbaine tandis que les adultes semblent relativement épargnés. Cela suggère que la vie urbaine impose probablement de fortes contraintes sur le développement des oiseaux. Ces contraintes pourraient être d’ordre nutritionnel.
En effet, les environnements urbains et ruraux diffèrent grandement par le type et l’abondance de la nourriture disponible. En ville, les oiseaux ne disposent que de peu de nourriture naturelle en raison de la relative pauvreté de la végétation, mais ils ont accès à de grandes quantités de nourriture de nouveaux types (nourriture humaine, déchets). Les conséquences en sont complexes car la nourriture urbaine peut être profitable pendant certaines phases de la vie des individus et néfaste pendant d’autres. En pratique, les adultes trouvent facilement une nourriture qui leur convient. Mais, en raison du manque de proies invertébrées (insectes, vers), qui sont de plus en plus rares en ville, ils peinent à fournir à leurs poussins le régime riche en protéines dont ceux-ci ont besoin pour se développer et survivre.
L’existence du stress nutritionnel a pu être confirmée expérimentalement. Des moineaux ont été nourris de façon à imiter soit un régime rural (49 % de maïs, 24 % de blé, 24 % de graines de tournesol, 3 % de vers de farine séchés), soit un régime urbain (30 % de maïs, 25 % de pain, 25 % de gâteaux, 20 % de chips). On a alors observé que les moineaux juvéniles soumis au régime alimentaire urbain présentaient des niveaux plus élevés de corticostérone dans les plumes que ceux soumis au régime alimentaire rural.
Le bruit de la ville
L’urbanisation s’accompagne d’une augmentation du niveau de bruit ambiant, qui peut perturber les animaux liminaires et plus particulièrement les oiseaux. En effet, la communication acoustique joue un rôle essentiel dans la vie des oiseaux : ils l’utilisent notamment pour attirer des congénères et pour communiquer avec leur couvée et leur partenaire. L’impact du bruit urbain sur les oiseaux a donc été soigneusement étudié.
Les résultats sont nuancés. Les chercheurs ont exposé des moineaux juvéniles à un bruit de circulation automobile. Contrairement à leur attente, ils n’ont observé aucune perturbation de la croissance ou de l’état général des poussins. Le taux de succès de l’envol était normal, ainsi que les concentrations de corticostérone. Cela pourrait laisser penser que les poussins n’ont pas été affectés négativement par cette exposition au bruit, qu’ils n’auraient pas perçu comme stressant. L’insensibilité au bruit de la ville pourrait être une forme d’adaptation de la part des animaux citadins. Toutefois, une étude plus fine, portant sur la longueur des télomères, a montré que les oisillons exposés au bruit urbain présentent des télomères plus courts que leurs homologues non exposés. Ainsi, malgré l’absence de conséquences immédiates évidentes, l’exposition au bruit peut entraîner des coûts importants pour les organismes en développement, des télomères raccourcis étant associés à un risque de maladies accru et à une longévité réduite.
Non seulement le bruit de fond perturbe la communication entre les individus mais il peut également altérer la capacité des oiseaux à percevoir les menaces, comme le son émis par un prédateur en approche. Les chercheurs ont pu montrer que les moineaux femelles, pour compenser leur capacité réduite à détecter les prédateurs, se mettent en état d’hypervigilance vis-à-vis de ce qui se passe dans les alentours du nid. Mais cela diminue nécessairement l’attention et la qualité des soins qu’elles peuvent porter à leurs poussins.
L’éclairage nocturne
L’éclairage nocturne pose des problèmes spécifiques aux animaux, humains compris, car il n’a pas d’équivalent dans la nature. En effet, les animaux ont évolué depuis toujours avec l’alternance jour-nuit, de sorte que la lumière joue un rôle essentiel dans la coordination de leurs activités quotidiennes. L’éclairage nocturne pourrait perturber cette coordination et engendrer du stress chez les oiseaux.
Pour étudier cette question sur des oiseaux vivant en liberté, les chercheurs ont installé en extérieur des nichoirs qu’ils ont éclairés de nuit une fois que des oiseaux s’y étaient installés. Les mésanges charbonnières, qui occupent facilement les nichoirs, ont été les plus étudiées. La lumière artificielle affecte considérablement le sommeil des femelles, qui s’endorment plus tard, se lèvent plus tôt et, dans l’intervalle, passent une plus grande partie de la nuit éveillées. La lumière artificielle augmente également l’activité de quémandage des poussins la nuit, ce qui peut contribuer à la perturbation du sommeil chez les femelles (ou l’inverse). De plus, les oisillons exposés à la lumière artificielle présentent des concentrations augmentées de corticostérone dans les plumes, ce qui peut refléter un stress physiologique. Or, on sait que des niveaux élevés de corticostérone au début de la vie peuvent avoir des conséquences profondes et durables : stress chronique, détérioration de l’état de santé et diminution de l’espérance de vie.
La pollution chimique
La ville est évidemment un lieu de pollution chimique. Les chercheurs ont étudié la contamination des oiseaux par les métaux lourds et ses conséquences. Ils ont mesuré la concentration des métaux dans les plumes de mésanges bleues et de mésanges charbonnières, et ont observé que plus l’habitat est de type urbain, plus les taux de cuivre, de zinc et de plomb sont élevés.
Une autre étude, menée chez les merles noirs, confirme que les plumes des oiseaux urbains sont plus fortement contaminées par le plomb. En outre, plus la concentration en métaux lourds est importante, plus le niveau de corticostérone dans les plumes est élevé. La contamination par les métaux lourds est donc une source de stress physiologique pour les oiseaux.
Au total, l’environnement urbain impacte lourdement les oiseaux, et particulièrement les juvéniles. L’identification des causes du stress des oiseaux ouvre la voie à des solutions. Les scientifiques préconisent de végétaliser la ville pour y faire revenir les insectes que les oiseaux consomment, de limiter les nuisances sonores et l’éclairage nocturne intempestif ainsi que de lutter contre la pollution chimique.
Références
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