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Les fientes de pigeons, bien sûr, ça n’est pas très ragoûtant. Mais faut-il les considérer comme une menace qui justifierait d’exterminer les pigeons ? Les fientes sont-elles un danger pour la santé humaine ou pour les bâtiments ? Aucune donnée objective ne l’indique.

Les pigeons, comme les autres oiseaux, n’ont pas de vessie. Par conséquent, leurs excréments ne sont pas des entités distinctes de déchets solides et liquides comme ceux des mammifères. Au contraire, les fientes de pigeons sont un mélange d’urine et de matières fécales qui se forme au niveau du cloaque. L’urine, très concentrée, contient des précipités et cristaux d’acide urique, ainsi que divers sels. Les urates, qui sont des précipités d’acide urique, forment l’enduit blanchâtre qui recouvre les fientes(1).

Autrefois utilisées comme mordant en tannerie ou comme engrais naturel, les fientes de pigeons sont généralement considérées aujourd’hui comme « mauvaises », « nuisibles », voire « dangereuses »(2). Pourtant, peu d’éléments suggèrent qu’en dehors de l’aspect esthétique général de la souillure, les pigeons nuisent à l’environnement urbain, que ce soit en termes de santé publique ou architecturaux.


Les pigeons et leurs fientes ne sont pas un problème de santé publique

 

Selon les partisans de leur extermination, les pigeons des villes et leurs fientes constitueraient une menace pour la santé publique. Cette affirmation doit être évaluée avec soin, d’autant que l’extermination des pigeons, par la perturbation de l’environnement qu’elle implique, peut elle-même présenter des risques difficiles à estimer a priori1. Alors qu’en est-il ?

Tout d’abord, de nombreuses enquêtes épidémiologiques ont recherché de façon systématique la présence chez les pigeons liminaires de micro-organismes pathogènes pour l’humain – virus, bactéries, champignons. La liste comprend 60 micro-organismes présents chez les pigeons(4). Cela peut sembler impressionnant mais il convient d’être prudent : ces résultats sont sans doute pertinents quant à la santé des pigeons mais beaucoup moins pour évaluer leur impact sur les humains. En effet, la simple présence d’un agent pathogène chez les pigeons n’implique pas sa transmission aux humains.

Une étude publiée en 2004 dans le Journal of Infection(4), qui a recensé l’ensemble des cas documentés d’infections transmises aux humains par les pigeons liminaires partout dans le monde entre 1941 et 2003, éclaire cette question. Parmi les 60 micro-organismes pathogènes hébergés par les pigeons, seuls 7 ont été transmis à l’homme. Les 53 autres n’ont pas fait l’objet d’une seule transmission avérée en plus de soixante ans. De plus, sur la même période, seulement 176 cas documentés de transmission de maladies des pigeons aux humains ont été signalés. Certes, ce faible nombre de cas rapportés dans la littérature scientifique sous-estime inévitablement le risque, car de nombreux cas ne sont pas publiés. On peut cependant affirmer que, malgré la répartition mondiale des pigeons et les contacts étroits et fréquents qu’ils ont avec les humains, les infections causées par les pigeons liminaires sont très rares2.

Au total, le risque que les pigeons et leurs fientes représentent pour la santé humaine est extrêmement faible, y compris pour les personnes exerçant des professions en contact étroit avec les pigeons.

 

Des dommages architecturaux modestes et mal documentés

 

Les fientes de pigeons sont généralement considérées comme un véritable problème architectural à la fois en raison de la salissure des façades et des espaces intérieurs des bâtiments et parce qu’on les accuse de provoquer des attaques chimiques non spécifiées sur le bois, la pierre et les métaux architecturaux.

Bien entendu, le caractère inesthétique des fientes de pigeons est difficilement contestable, même si la gêne que chacun peut ressentir est subjective. La question des éventuels dommages architecturaux est plus difficile. Si le sujet peut sembler trivial, il est cependant difficile à aborder scientifiquement en raison de son caractère multiparamétrique. De fait, l’effet des fientes de pigeons sur les éléments architecturaux dépend d’une multitude de facteurs : âge et sexe des pigeons, régime alimentaire, durée pendant laquelle les fientes restent sur le matériau, taux d’humidité de l’air ambiant, précipitations, développement de micro-organismes, etc. Pour évaluer de façon satisfaisante l’effet des fientes de pigeons, il faudrait tenir compte de tous ces facteurs ainsi que de nombreux autres. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les quelques études consacrées au sujet n’aient fourni que peu de conclusions solides et généralisables.

Concernant le bois et les éléments de maçonnerie, des expériences en laboratoire n’ont pas mis en évidence d’effet corrosif des fientes de pigeons sur des échantillons de pin brut ou verni, de grès, de granit, de travertin, de béton, ou de briques, même après une exposition allant jusqu’à 70 jours(5). D’autres expériences ont été menées en situation réelle, avec des excréments de pigeons déposés sur des rebords de fenêtres, des corniches et des parapets. Les dommages observés sont des taches superficielles, dont la plus grande partie peut être éliminée par frottage avec un tissu en papier doux. La majorité des dommages se produit dans les deux premières semaines suivant le dépôt. En effet, les fientes individuelles sont ensuite généralement soit dissoutes par l’humidité soit desséchées jusqu’à se détacher des surfaces considérées. Finalement, les surfaces ayant été exposées moins longtemps présentent des taches, tandis que celles qui ont été exposés plus longtemps ont tendance à présenter des taches moins importantes, voire aucune. Au total, si les fientes d’oiseaux donnent un aspect sale à un bâtiment, même pendant des mois, l’effet sur le matériau de construction n’est pas substantiel, au moins tant qu’elles ne s’accumulent pas(6).

 

Remarque de PAZ  : Il n’est pas rare que le sentiment de manque de propreté tienne plus d’un manque total de nettoyage que de la présence des pigeons. Il est important que les Villes planifient périodiquement des opérations de nettoyage dans les lieux fréquentés par les oiseaux. Cela est possible pour les feuilles des arbres qui tombent à l’automne ou encore pour les poubelles remplies par les humain-es, pourquoi n’en pourrait-il pas être de même pour les fientes des oiseaux ?

Les métaux sont largement utilisés en architecture ainsi que dans la statuaire d’extérieur. Comme tous les autres matériaux de construction, ils sont soumis à des processus de dégradation environnementale. Parce que l’acidité peut favoriser l’oxydation des métaux et que les fientes de pigeons sont riches en acide urique, la question des éventuels dommages causés par les fientes de pigeons est particulièrement pertinente. Hélas, on ne dispose pas pour l’instant d’éléments de réponse fiables. Une récente revue de la littérature(1) a recensé trois études sur le sujet(5,7,8), mais qui présentaient toutes d’importants défauts méthodologiques, le principal étant l’absence de condition témoin pour mesurer l’oxydation des métaux3. En conséquence, aucune conclusion solide ne peut être tirée de ces travaux, si bien que « l’état actuel des connaissances concernant les effets réels à court et à long terme des excréments d’oiseaux sur les métaux et les statues est loin d’être satisfaisant. Alors que les effets des acides (…) ont été établis, le rôle réel joué par les excréments de pigeons reste peu clair »(1).

 

En résumé, il n’y a pas de preuve que, au-delà du désagrément esthétique lié à la souillure, les pigeons nuisent à l’environnement urbain.

 

L’importance du régime alimentaire des pigeons

 

De nombreux facteurs peuvent avoir une influence sur la quantité et la qualité des fientes de pigeons : régime alimentaire, âge, sexe, période de ponte pour les femelles, etc. Parmi tous ces éléments, c’est le régime alimentaire qui est le plus important. Contrairement à leurs ancêtres les pigeons sauvages, qui se nourrissent essentiellement de graines(9), les pigeons liminaires sont très dépendants des restes d’aliments humains qui leur sont laissés intentionnellement ou non. Cette source de nourriture abondante mais inadaptée est responsable de carences en certains nutriments essentiels ainsi que d’intoxications alimentaires(10).

De façon intéressante, la qualité du régime alimentaire peut avoir un impact direct sur la quantité de fientes : des oiseaux qui ont un régime alimentaire de mauvaise qualité compensent en augmentant leur consommation de nourriture, si bien qu’ils produisent de plus grandes quantités de fientes que ceux qui bénéficient d’un régime de bonne qualité(11). L’alimentation des pigeons a également un impact sur la qualité des fientes : les pigeons nourris avec des aliments naturels tels que des céréales et des légumineuses émettent des fientes moins acides que ceux nourris avec les aliments humains qui composent les déchets urbains typiques (pain blanc, frites, etc.)(2).

Ces données scientifiques confortent la position de PAZ sur le nourrissage : les pigeons ne doivent être ni affamés ni nourris de façon inadaptée avec des restes de nourriture humaine. Au contraire, ils doivent avoir à disposition les graines qui constituent leur alimentation naturelle. Fournir aux pigeons une alimentation saine participe d’une démarche « gagnant-gagnant ». Les pigeons mieux nourris sont en meilleure santé et porteurs de moins d’agents pathogènes, ce qui diminue encore le risque – déjà très faible – de transmission de maladies aux humains. De plus, une alimentation saine s’accompagne de fientes moins acides et en moindre quantité, ce qui limite les dommages architecturaux potentiels et les efforts de nettoyage nécessaires.

 

Les fientes de pigeons sont perçues comme non seulement inesthétiques mais aussi sales, voire dangereuses pour les personnes et les bâtiments. En réalité, les pigeons et leurs fientes ne sont pas un problème de santé publique et leur effet sur les matériaux de construction, insuffisamment documenté, apparaît minime là où les données sont fiables. Enfin, fournir aux pigeons le régime alimentaire à base de graines qui leur est naturel se traduirait, dans l’intérêt de tous, par des fientes moins abondantes et moins corrosives.

Notes de bas de page

1 Les pigeons en ville occupent une certaine niche écologique (définie par la nourriture, l’habitat, etc.). Exterminer les pigeons, c’est vider cette niche écologique, qui sera inévitablement remplie ensuite par d’autres oiseaux – corneilles, mouettes, perruches ou autres – sans qu’on puisse prédire exactement lesquels. C’est donc un jeu dangereux : on sait ce qu’on peut gagner mais on ne sait pas ce qu’on risque de perdre(3).


2 Dans la quasi-totalité des cas, la transmission s’est faite par inhalation de particules aéroportées : fientes séchées, écoulements oculaires, lait de jabot.

 

3 Lorsque dans une expérience scientifique on veut identifier l’effet d’un facteur (ici les fientes de pigeons), il est souhaitable de tester deux conditions. Dans l’une, le facteur est présent, et dans l’autre – la condition témoin – il est absent, tous les autres paramètres étant identiques. Seule la comparaison des résultats des deux conditions permet de mettre en évidence l’effet du facteur. Ici, il aurait fallu comparer l’oxydation des métaux en présence de fientes de pigeons à l’oxydation en l’absence de fientes. Faute de condition témoin, les effets observés ne peuvent être attribués aux fientes de pigeons

Références

1. Spennemann DHR, Watson MJ. 2018. Experimental studies on the impact of bird excreta on architectural metals. International Bulletin of the Association for Preservation Technology, 49(1), 19–28. https://www.jstor.org/stable/26452201

2. Spennemann DHR, Watson MJ. 2017. Dietary habits of urban pigeons (Columba livia) and implications of excreta pH – A review. European Journal of Ecology, 3(1), 27–41. https://doi.org/10.1515/eje-2017-0004

3. Lapostre D, Goix MH. 2019. Des pigeons dans la ville – Secrets d’une relation millénaire entre 2 bipèdes. Édition AERHO.

4. Haag-Wackernagel D, Moch H, 2004. Health hazards posed by feral pigeons. Journal of Infection, 48(4), 307-313. https://doi.org/10.1016/j.jinf.2003.11.001 

5. Adam T, Grübl P. 2004. Einfluss von Taubenkot auf die Oberfläche von austoffen. Prüfungsbericht Nr. 195.04

6. Spennemann DHR, Pike M, Watson MJ. 2018. Behaviour of Pigeon Excreta on Masonry Surfaces. Restoration of Buildings and Monuments, 23(1), 15-28. https://doi.org/10.1515/rbm-2017-0004

7. Bernardi E, Bowden DJ, Brimblecombe P, Kenneally H, Morselli L. 2009. The Effect of Uric Acid on Outdoor Copper and Bronze. Science and the Total Environment 407: 2383–2389.

 

8. Vasiliu A, Buruiana D. 2010. Are Birds a Menace to Outdoor Monuments? International Journal of Conservation Science, 1: 83–92.

 

9. Little RM. 1994. Marked dietary differences between sympatric feral rock doves and rock pigeons. African Zoology, 29(1).

 

10. Dobeic M, Pintari S, Vlahović K, Dovč A. 2011. Feral pigeon (Columba livia) population management in Ljubljana. Vet. Arhiv, 81(2) : 285-298.

11. Geluso K, Hayes JP. 1999. Effects of dietary quality on basal metabolic rate and internal morphology of European starlings (Sturnus vulgaris). Physiological and Biochemical Zoology, 72, 189–197.