En 2019, une étude concernant « Les pigeons des villes perdent des doigts à cause des activités humaines » a été publiée dans la revue scientifique à comité de lecture à portée internationale Biological Conservation par Frédéric Jiguet, Linda Sunnen, Anne-Caroline Prévot et Karine Princé. Cette étude a été menée à Paris.
Cet article est un résumé détaillé de l’étude rédigée en Anglais.
Comprendre comment nos activités affectent les animaux liminaires est primordial afin de pouvoir envisager des solutions.
Résumé
Il est important de mesurer l’impact de la pollution urbaine sur la biodiversité afin d’identifier des mesures d’adaptation ou d’atténuation possibles, qui sont nécessaires à la préservation de la faune y compris en centre ville. Les difformités de pattes sont très répandues chez les pigeons des villes. Les raisons de ces mutilations ont été longuement discutées, comme étant causées par la fréquentation d’un environnement hautement zoonotique, par des dispositifs anti-pigeons chimiques ou mécaniques, ou par des nécroses suite à « stringfeet ». Ce dernier point voudrait que les pigeons fréquentant des trottoirs couverts de fils ou de cheveux soient plus exposés, et ainsi plus sujets aux mutilations. Nous avons testé ces hypothèses à Paris (France), en enregistrant l’apparition et l’étendue des mutilations des doigts sur des échantillons de pigeons des villes sur 46 sites d’étude. Nous avons émis l’hypothèse que les mutilations pourraient être prédites à partir des conditions locales en termes d’environnement général, possiblement liées à la pollution organique, sonore et atmosphérique, en recueillant de tels indicateurs environnementaux des pollutions urbaines. Nous avons montré que les mutilations ne concernent pas les pigeons juvéniles, et que leur apparition et leur fréquence ne sont pas liées à la noirceur de leur plumage, mesure indirecte de la sensibilité des pigeons aux maladies infectieuses. La mutilation des doigts était plus fréquente dans les quartiers avec un niveau élevé de pollution atmosphérique et de pollution sonore, et avait tendance à augmenter avec la densité de coiffeurs. De plus, le nombre de mutilations sur les pigeons atteints était plus élevé dans les quartiers plus peuplés, avait tendance à baisser avec la densité croissante d’espaces verts, et à augmenter avec la pollution atmosphérique. Les changements liés à la pollution et à la couverture des sols semblent donc avoir un impact sur la santé des pigeons par la difformité des doigts, et l’augmentation des espaces verts pourrait améliorer la santé des oiseaux dans les villes.
1. Introduction
Les villes sont les hôtes d’espèces sauvages généralistes qui sont tolérantes à une large étendue de conditions environnementales. Elles comptent aussi parmi les espaces les plus pollués. Il est important de mesurer l’impact des pollutions sur la biodiversité afin de mieux la préserver en milieu urbain. Il existe un lien entre santé et bien-être des humains, des animaux et de leurs divers environnements. Le lien entre urbanisation et maladies de la faune a surtout été considéré jusqu’à présent par le biais de parasites et d’agents pathogènes.
- le fait de se tenir dans ses propres excréments selon la croyance générale ;
- infection par un staphylocoque provoquant un abcès plantaire ;
- répulsifs mécaniques (pics anti-pigeons) ou chimiques ;
- des difformités héréditaires ont été observées sur des pigeons en captivité.
- déchets dans les rues comme des bouts de ficelle ou des cheveux, pouvant venir par exemple de marchés à ciel ouvert ou de salons de coiffure ;
- densité de la population et des flux humains ;
- pollution atmosphérique ou sonore.
- l’occurrence des mutilations, càd la proportion des pigeons atteints d’au moins une mutilation dans un groupe échantillon
- l’étendue des mutilations, càd le nombre de doigts mutilés par pigeon atteint.
- le degré d’obscurité du plumage : le taux de mélanine est lié à l’intensité parasitaire et à la réponse immunitaire des pigeons. Ainsi, si les mutilations étaient liées aux infections virales ou bactériennes, on s’attendrait à moins de cas chez les pigeons au plumage sombre.
- l’âge des pigeons : une première analyse a été faite pour vérifier que les pigeons juvéniles n’étaient pas atteints, vu qu’ils ont été exposés aux causes potentielles depuis moins de temps.
- fréquentation locale par les humains : densité résidentielle, fréquentation des stations de métro, pollution atmosphérique et sonore;
- variations en termes de pollution organique : activité des marchés à ciel ouvert, densité des salons de coiffure.
- premier bloc dans le 5e arrondissement
- deuxième bloc, une place avec marché à ciel ouvert, place Aligre, 12e arrondissement
- troisième bloc, une place sans marché mais avec deux salons de coiffure, place du colonel Bourgoin, 12e arrondissement.
- la durée totale d’ouverture en heures des marchés à ciel ouvert, par semaine (opendata 2013) ;
- la densité des déchets domestiques basée sur le tonnage annuel par arrondissement (opendata 2011) ;
- la densité de salons de coiffure (opendata 2014).
Par rapport à un groupe sur un premier site (espace vert), les pigeons sur un deuxième site (marché à ciel ouvert) et troisième site (place urbaine) étaient plus fréquemment atteints.
Aucune différence dans la fréquence des mutilations affectant patte droite et patte gauche (sur 276 pigeons atteints, 188 l’étaient de la patte droite, 182 de la patte gauche).
Etre atteint d’une patte (gauche ou droite) ne rend pas plus probable le fait d’être atteint sur l’autre patte.
- Les résultats ne sont pas en faveur d’une origine sanitaire des mutilations : les pigeons noirs sont généralement résistants aux agents pathogènes mais n’ont là aucun avantage vis-à-vis des mutilations.
- Les mutilations se produisent dans les zones où la pollution est élevée, identifiée ici comme sonore et atmosphérique, et sont plus nombreuses là où les habitants humains sont plus nombreux.
- Des mesures indirectes de la densité de fils ou de cheveux sur le sol ont été employées, par ex. la densité des salons de coiffure ou les activités des marchés à ciel ouvert : les marchés sont une importante source de déchets dans les rues ; les cheveux coupés sont récupérés par les services de propreté de la ville, mais on peut facilement imaginer qu’un reste de ces cheveux se retrouve sur le sol et les trottoirs. Cette étude a montré que les pigeons sont plus souvent mutilés là où les salons de coiffure sont plus nombreux. Néanmoins, étant donné qu’il y a plus de coiffeurs là où la densité résidentielle est la plus élevée, il peut y avoir un effet indirect de la densité résidentielle.
- En réduisant les recherches sur les seuls pigeons atteints, les résultats obtenus sont similaires, et confirment un effet de la densité humaine. Les pigeons ont plus de doigts là où les espaces verts sont plus denses, et moins de doigts là où la pollution est plus élevée. Les espaces verts sont moins fréquentés par les humains, donc la probabilité de tomber sur un fil ou un cheveu au sol est moins élevée. A l’inverse, les endroits très denses augmentent la densité de cheveux tombés et d’autres déchets au sol, augmentant la probabilité de se garrotter les doigts.
Nous soulignons que les contacts entre humains et animaux soulèvent des inquiétudes non seulement en termes d’émergence de maladies, mais également de blessures mécaniques aux animaux liminaires issues des activités humaines. La reconnaissance grandissante de la valeur des animaux liminaires sur le bien-être humain demande la protection de la santé des animaux autant que de la santé humain.