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Brisons les clichés sur les rats

Cliché n°1 : « Les rats sont porteurs de maladie »

Les rats sont fréquemment accusés de répandre, au sein de la population humaine, de très nombreuses maladies. Pourtant, aucune épidémie dont les rats auraient été à l’origine n’a frappé les parisiennes et les parisiens depuis de très nombreuses années.

Il est vrai que le nombre de cas de leptospirose, maladie transmise par le contact avec des eaux douces souillées par l’urine de certains animaux, dont les rats, est en progression en France métropolitaine. C’est cependant une conséquence du réchauffement climatique plus que d’une augmentation, non démontrée, du nombre de rats, des eaux plus chaudes favorisant la survie de la bactérie.

Quant à la peste noire, qui aurait tué entre un tiers et la moitié de la population européenne au XIVe siècle, elle est associée au rat noir (rattus rattus), alors que celui-ci a été supplanté par son cousin le rat gris (rattus norvegicus) au cours du XVIIIe siècle. De surcroît, une récente étude a remis en cause le rôle causal joué par les rats noirs dans la propagation de la deuxième pandémie, qui a débuté par la peste noire (1348-1352) et a eu des répercussions jusque dans la première moitié du XXe siècle. Selon cette étude, il faudrait plutôt incriminer les parasites vivant sur le corps humain, comme les puces et les poux.

Cliché n°2 : « Les rats sont sales »

Les rats sont, à tort, associés à la saleté. Ils sont en effet très propres ; ils font leur toilette avec minutie, même s’ils vivent dans les égouts. Les rats nettoient leur tête avec leurs pattes antérieures ; après quoi, ils se lavent le reste du corps en le léchant. Pour éliminer les parasites, comme les puces, ils se grattent avec leurs pattes postérieures, qui peuvent atteindre presque toutes les parties du corps.

Cliché n°3 : « Les rats me font peur »

Les rats ne constituent pas une menace pour les êtres humains ; ils n’attaquent pas ceux-ci. Le rat anthropophage est un mythe, diffusé par les écrivains occidentaux, comme Edgar Allan Poe, auteur de la célèbre nouvelle Le Puit et le Pendule. Grouillant sur le corps du héros, les rats contribuent à le rendre fou de terreur, alors qu’il est enfermé dans un cachot aveugle, à Tolède, pendant la guerre d’indépendance espagnole. Poe présente les rats sous un jour détestable et totalement erroné : “Ils étaient tumultueux, hardis, voraces, – leurs yeux rouges dardés sur moi, comme s’ils n’attendaient que mon immobilité pour faire de moi leur proie.”

La réalité est bien différente. Lorsqu’ils pressentent un danger, les rats fuient. Lors du grand tremblement de terre de Lisbonne, le 1er novembre 1755, les rats, très sensibles aux vibrations, prirent la fuite, parmi d’autres animaux, pour se réfugier dans les hauteurs. Au contraire, les êtres humains qui n’avaient pas été tués par l’effondrement des bâtiments et notamment des églises – c’était la fête de la Toussaint -, se précipitèrent vers le port où ils furent noyés par le tsunami qui suivit le séisme.

Les êtres humains sont souvent rebutés par la queue des rats, qui fait penser à un ver de terre ou un serpent. La queue du rat lui sert cependant à garder son équilibre et aussi à réguler sa température corporelle.

Il n’y a donc pas de quoi avoir peur des rats !

Cliché n°4 : « Les rats font des dégradations »

Les rats vivent, en principe, dans des terriers qu’ils creusent. S’ils vivent dans des parcs et jardins, comme ceux qui agrémentent la ville de Paris, ils feront nécessairement divers “aménagements”. Il est difficile de le leur reprocher, sauf à leur refuser purement et simplement le droit de vivre.

Par ailleurs, les rats sont des rongeurs ; leurs dents poussent donc continuellement, afin d’éviter l’usure. Ils sont bien connus pour s’attaquer tout particulièrement aux fils électriques, provoquant ainsi diverses pannes et dysfonctionnements des installations humaines. Pour les rats, les fils électriques ne se distinguent pas des racines ou des radicelles que les rats coupent lorsqu’ils creusent leurs terriers.

Il arrive ainsi que les rats soient à l’origine d’accidents graves, comme la collision de trains qui avait fait une quarantaine de blessés à Denguin près de Pau, en 2014. Des “rongeurs” avaient endommagé les gaines d’isolement des câbles électriques du système de signalisation, déréglant les feux ; ce qui avait provoqué l’accident. Ce sont pourtant des phénomènes strictement naturels, analogues aux inondations ou aux glissements de terrain. C’est aux êtres humains de protéger leurs installations et de prendre les mesures de sécurité qui s’imposent. Dératiser n’est pas la solution.

Cliché n° 5 : « Les rats nous envahissent »

A en croire la presse, les rats envahissent Paris. Les titres sensationnels se succèdent dans un course échevelée au ridicule. “Les rats sont-ils en train de grignoter peu à peu Paris ?” s’interroge France Info le 8 février 2018. Paris est donc un fromage ; cela dépend évidemment pour qui… “Les rats pullulent à Paris : 7 questions sur une invasion hors de contrôle” proclame L’Obs du 17 mars 2018. Le célèbre magazine semble oublier que les êtres humains ne contrôlent pas la nature. En revanche, ils sont effectivement en train de la rendre totalement incontrôlable… La palme de l’ubuesque revient cependant au Parisien du 26 septembre 2017 qui titre : “Les rats sont entrés dans Paris !”. On n’attend plus que les rats défilent sur les Champs-Elysées et que le Gouvernement se réfugie à Bordeaux…

Dans cette course au ridicule et au sensationnel, les dératiseurs ne sont pas en reste. Le site www.deratisation.com nous apprend ainsi que “les experts en lutte anti-nuisibles en milieu urbain parlent d’un ratio de 1.5 à 2 rats par personne en ville, ce qui représenterait un nombre de 5 millions de rats à Paris. On remarquera incidemment que, le nombre d’habitants parisiens étant estimé à 2 220 445 personnes (au 1er janvier 2014), les “experts en lutte anti-nuisibles” utilisent donc le ratio de 2 rats pour 1 habitant, n’hésitant pas à pousser le curseur à son maximum.

On estimait le nombre de rats à New York à 8 millions sur la base d’un ratio de 1 rat pour 1 habitant, jusqu’à ce que Jonathan Auerbach, doctorant au Département de statistiques de l’Université Columbia, a démontré que le nombre de rats new-yorkais est d’environ 2 millions avec une marge d’erreur de 150 000 individus. En effet, les rats étant des animaux très territoriaux, plusieurs colonies peuvent très difficilement cohabiter dans un même lot (J. Auerbach, Does New York City really have as many rats as people : Significance october 2014, p. 22).

Heureusement, le ridicule ne tue pas. Sinon, il faudrait déplorer le décès des prétendus “experts en lutte anti-nuisibles”, qui n’hésitent pas à gonfler les estimations pour gonfler leur chiffre d’affaires… Faut-il rappeler que les dératiseurs sont des commerçants dont l’objectif principal, voire unique, est de gagner de l’argent ?

Faute d’étude scientifique, l’évolution du nombre de rats à Paris n’est pas connue. Ce que l’on prend pour une “invasion” ou une expansion démographique peut tout aussi bien correspondre à un simple déplacement des rats du sous-sol vers la surface, provoqué par les activités humaines (démolition et construction d’immeubles, prolongation de lignes du RER, travaux du Grand Paris, pique-niques dans les parcs parisiens, fan zones, etc.) ou par des phénomènes naturels (crues). Les travaux, notamment, font fuir les rats à cause des vibrations dont ils sont la source (voir supra, 3. “Les rats me font peur”). Il faut encore relever que ces déplacements du sous-sol vers la surface sont une cause importante de mortalité pour les rats ; ce qui contribue aussi à mettre en doute la théorie de l’ “invasion”.