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ANALYSE DES DOCUMENTS ADMINISTRATIFS DE LA VILLE DE PARIS RELATIFS À LA GESTION DES POPULATIONS DE RATS

La gestion des rats à Paris est souvent abordée uniquement sous l’angle de la santé publique, sans jamais prendre en compte la souffrance animale. Pourtant, cette approche soulève des interrogations quant à sa cohérence et à ses fondements scientifiques. Lors du Conseil de Paris de juin 2023, l’Adjointe à la santé de la Ville de Paris, Anne Souyris, a rappelé en 2023 que les rats ne représentent pas un problème de santé publique majeur. Elle a également annoncé la création d’un comité sur la cohabitation avec les rats. Lors de ce même Conseil, la Conseillère de Paris Douchka Markovic, a mis également en lumière une réalité souvent ignorée : de nombreux animaux, comme les chiens et les chats, transmettent également des maladies, mais leur gestion n’est pas associée à la délégation de la santé, mais à celle de la condition animale. 

En effet, prenons par exemple le cas des chats, qui peuvent transmettre la toxoplasmose, une infection parasitaire fréquente en France. Malgré le fait que la toxoplasmose peut représenter un risque sérieux pour les femmes enceintes, avec environ 2700 cas de primo-infection par an, personne ne propose d’exterminer les chats ou ne craint de les croiser dans la rue. En revanche, les rats, dont les maladies les plus fréquemment agitées dans le débat public (comme la leptospirose) sont bien moins fréquentes en termes de transmission à l’humain, continuent pourtant de faire l’objet de campagnes d’extermination. Cette incohérence dans la gestion des différentes espèces a de quoi faire réagir notre association qui défend notamment les intérêts des animaux liminaires. 

Cette analyse vise à rendre accessible des informations passées sous silence : comment sont traités les rats à Paris ? Quels produits sont utilisés actuellement pour la gestion de leur population ? Pour ce faire, nous avons demandé à la Ville de Paris l’ensemble des documents administratifs relatifs à la gestion des rats par la Mairie au cours de l’année en cours et des trois dernières années. Nous avons reçu l’ensemble de ces documents le 3 juin 2024. Cet article traite de l’analyse de ces documents.

Les pièges à alcool (mise à mort par noyade)

La Ville de Paris utilise des pièges mécaniques dits “à alcool” qui sont fournis par la société Edialux. Le principal dispositif utilisé est l’Ekomille, un piège mortel où les rats sont noyés dans un liquide à base d’alcool. 

L’Ekomille est un piège mécanique, fonctionnant en continu, qui utilise de la nourriture pour attirer les rats. Une fois le rongeur attiré à l’intérieur du dispositif par l’appât, l’Ekofood 100, il est précipité dans un réservoir contenant un mélange d’eau et d’alcool, l’Ekofix 100. Les rats vont ainsi être forcés à nager pendant de très longues minutes dans ces contenants d’alcool (parfois au milieu de cadavres de leurs semblables !) jusqu’à leur noyade. Pour l’expérimentation animale, les tests de nage forcée sur les rongeurs sont largement décriés pour la souffrance animale qu’ils engendrent. Le constructeur affirme que l’Ekofix “narcotise les rats, en ralentissant leur respiration et en les plongeant progressivement dans un état de torpeur, avant de les noyer.” Cependant, nous n’avons pas trouvé d’informations précises de la part du constructeur sur la durée moyenne entre l’immersion dans le liquide et la mort du rat, ni d’étude scientifique attestant de la narcotisation des rats par simple vapeur de l’Ekofix 100.

Produit Ekopark vendu par la société Édialux

Pour rendre ces pièges plus discrets et protéger les dispositifs des aléas extérieurs ou d’éventuelles dégradations, la Ville de Paris utilise le système Ekopark. Ce dispositif est conçu pour camoufler l’Ekomille dans l’environnement urbain, en particulier dans les parcs et autres espaces publics. L’Ekopark permet ainsi à la Ville de tuer les rats de manière continue sans attirer l’attention sur la méthode utilisée.

Les anticoagulants (mise à mort par empoisonnement)

Les anticoagulants sont des produits perturbant la capacité à coaguler le sang. Lorsqu’un rat ingère un appât contenant un anticoagulant, la substance empêche la régénération de la vitamine K, essentielle à la coagulation sanguine. En conséquence, même une petite blessure interne ou externe devient mortelle pour le rongeur, car l’ingestion du produit lui provoquera des hémorragies : les rats meurent au bout de plusieurs jours de souffrance intense. Cette action retardée est une caractéristique des anticoagulants, rendant les rongeurs moins susceptibles de comprendre le lieu de consommation du poison, ce qui permet d’après un des laboratoires vendant des anticoagulants à la Ville de Paris de ne pas éveiller “la méfiance de leurs congénères”.

visuels FB - franco belge

Les anticoagulants « de seconde génération » tels que le difénacoum, la bromadiolone, le brodifacoum et le flocoumafen sont particulièrement puissants et persistent dans l’organisme des rongeurs pendant plusieurs mois, et ce même après une seule ingestion. Ces substances ont été conçues pour surmonter la résistance que certains rongeurs avaient développée contre les anticoagulants de première génération. Tous les anticoagulants de deuxième génération ont donc une toxicité plus aiguë que ceux de première génération. 

De plus, ils persistent dans l’organisme des rongeurs pendant plusieurs mois, et ce même après une seule ingestion. Cette persistance pose des risques accrus pour d’autres animaux, y compris les humains, en cas d’exposition accidentelle.

Les cas de toxicité humaine liés à ces substances soulignent leur dangerosité : un enfant ayant ingéré accidentellement un anticoagulant de seconde génération a nécessité un traitement à la vitamine K pendant sept mois¹, tandis qu’un adulte ayant tenté de se suicider avec ces substances a dû suivre un traitement durant huit mois². Ces incidents montrent à quel point ces produits peuvent être dangereux, non seulement pour les rongeurs, mais aussi pour les autres espèces³.

Ces produits sont placés dans des “boîtes d’appâtage” qui contiennent une ouverture pour laisser entrer et sortir des rats, mais ces boîtes ne sont pas sélectives, puisque n’importe quel animal plus petit qu’un rat peut y entrer et ingérer ces produits toxiques. De plus, certains laboratoires indiquent eux-mêmes un risque de contamination secondaire : les prédateurs des rats, comme les chats, sont donc particulièrement impactés par le choix de la Mairie.

“Boîte d’appâtage” commandée par la Ville de Paris. A l’intérieur, les blocs de produits anticoagulants.

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“Boîte d’appâtage” à Paris en 2023. A l’intérieur, des morceaux des blocs de produits anticoagulants sont accessibles.

La Ville de Paris utilise principalement trois produits, contenant des anticoagulants de seconde génération différents, afin de réduire le risque de résistance biologique des rats : 

1. Génération Block (LIPHATECH SAS)
Substance active : Bromadiolone
Ce rodenticide vendu en blocs a une dose létale pour les rats de 6 g. Il est destiné à un usage intérieur et extérieur, autour des bâtiments. Son action retardée implique que les rongeurs vont mourir “entre 4 et 10 jours après consommation de l’appât”. Le laboratoire alerte sur sa notice que « lorsque le produit est utilisé dans des lieux publics, les zones traitées doivent être signalées pendant la période de traitement et une note expliquant le risque d’empoisonnement primaire ou secondaire par l’anticoagulant ainsi que les premières mesures à adopter en cas d’empoisonnement doit être apposée à proximité des appâts. » C’est un produit également classé H373 : Risque présumé d’effets graves pour les organes (sang) à la suite d’exposition répétée ou d’une exposition prolongée.” et “H412 : Nocif pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme. » Le laboratoire indique également que c’est un produit “dangereux pour les chiens et les chats”.

2. Secuvia-Secure (BASF France SAS)
Substance active : Flocoumafen
Vendu en blocs de 25 g, ce rodenticide a une dose létale pour les rats de 3,8 g. La notice avertit de la nécessité de  » conserver le produit hors de la portée des enfants, animaux domestiques, animaux d’élevage et autres animaux non cibles » du fait de sa dangerosité.

3. Vertox Bloc (Armosa SAS)
Substance active : Brodifacoum
Ce produit est vendu en blocs de 20 g, et a une dose létale pour les rats de 4,2 g. Comme les autres anticoagulants, il agit de manière retardée, tuant les rongeurs après plusieurs jours d’agonie.

 

La gestion des populations de rats à Paris a connu des fluctuations budgétaires significatives entre 2021 et 2023. En 2021, le budget total alloué à cet objectif s’élevait à 238 483 €, pour atteindre un pic de 330 175 € en 2022, avant de redescendre à 219 688 € en 2023.

Le budget total moyen sur ces trois années est donc de 262 782 €.

A noter que ce budget prend en compte uniquement les achats de matériel, et ne prend pas en compte le coût du personnel. A Paris, le Service Municipal d’Action de Salubrité et d’Hygiène “SMASH” compte 70 agents au total. Ces agents ne sont pas dédiés uniquement à la gestion des rats, mais également à d’autres animaux.

Les pièges à alcool ont absorbé une part importante du budget chaque année. En 2021, 188 481 € ont été consacrés à l’achat de ces dispositifs. Ce montant a augmenté en 2022, atteignant 235 888 €, avant de diminuer en 2023 à 148 750 €. 

Toutefois, l’analyse chronologique des montants attribués à ces pièges se heurte à plusieurs difficultés méthodologiques. Par exemple, il est complexe de déterminer le nombre exact d’Ekomille achetés avec ces fonds, étant donné que la Ville de Paris à caviardé les factures, de même nous ne disposons pas pour l’instant des relevés des Ekomilles qui nous permettraient de savoir combien de rats sont ainsi noyés chaque année par la Ville. 

 

 

Nous pouvons toutefois penser que le budget dédié aux pièges à alcool en constante baisse par rapport au budget global (2021 : 79.9% ; 2022 : 72% ; 2023 : 68.7%) peut s’expliquer par un fort investissement initial de la Ville. Une fois cet investissement réalisé (achats des Ekomilles) l’achat du matériel dit “consommable” (Ekofix 100, Ekofood, SAV) est beaucoup moins onéreux.

En parallèle, les achats d’anticoagulants ont également évolué de manière notable. En 2021, 47 854 € ont été dépensés pour ces produits, couvrant environ 20,06% du budget global. Ce montant a presque doublé en 2022 pour atteindre 92 548 €, représentant 28% du budget total, avant de redescendre à 68 787 € en 2023, soit 31,3% du budget total. 

En termes de quantité, les anticoagulants achetés en 2021 étaient suffisants pour tuer jusqu’à 437 043 rats. Ce chiffre a grimpé à 1 311 939 rats en 2022, avant de redescendre à 981 719 rats en 2023. 

Nous avons pu calculer le nombre maximum de rats tués en prenant en compte la quantité d’anticoagulants achetée. Ces calculs, dont nous assumons le caractère approximatif⁴, ont pour seul but de mettre en évidence l’ampleur non seulement de l’utilisation d’anticoagulants, mais aussi des souffrances potentielles engendrées dans la population des rats à Paris.

Source : 

¹ Watts, R.G., R.P. Castleberry and J.A. Sadowski. 1990. Accidental poisoning with a superwarfarin compound (brodifacoum) in a child. Pediatrics. 86 (Dec.): 883-887.
² Lipton, R.A. and E.M. Klass. 1984. Human ingestion of a « superwarfarin » rodenticide resulting in a prolonged anticoagulant effect. Journal of the American Medical Association. 252: 3004-3005.
³ Intoxication aux raticides anticoagulants chez le chien et le chat | Centre Antipoisons Belge
Ces calculs ont été effectués en déduisant la quantité d’anticoagulants de chaque marque achetée par la Ville grâce au prix au kilo fourni par les vendeurs. Ensuite, chaque produit ayant une dose létale différente, nous avons divisé la quantité de chaque produit par sa dose létale. Ce calcul rapide ne prend pas en compte l’inflation et donc la potentielle augmentation des produits entre 2021 et 2023, le stock restant des années précédentes, ni le gaspillage potentiel, et prend uniquement en compte la dose létale affiché par les laboratoires pour un rat avec un poids moyen (ayant un poids plus important que les souris par exemple, pour lesquelles la dose létale serait moins élevée en grammes de produit consommé.)

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