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Le Monde (site web)
idees, jeudi 11 novembre 2021 – 06:00 UTC +0100 919 words
Histoire : « Les animaux enrôlés dans la Grande Guerre ont écritune page de l’histoire largement méconnue »
Amandine Sanvisens
La militante de la cause animale Amandine Sanvisens entend rappeler, dans une tribune au « Monde », le lourd tribut que les animaux – du cheval au canari – ont payé pendant la première guerre mondiale, de 1914 à 1918.
Tribune. Jeudi 11 novembre 2021, la commune de Venette (Oise) a inauguré une stèle à la mémoire des animaux tués pendant la première guerre mondiale. C’est aussi le cas de la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis), qui a dévoilé uneplaque commémorative pour les animaux de guerre au pied du monument aux morts du carré militaire du cimetière communal.
Je me réjouis de ces projets mémoriels qui permettent enfin d’inclure les animaux dans notre mémoire collective. Les animaux enrôlés dans la Grande Guerre ont écrit une page de l’histoire largement méconnue. Malgré unecomptabilité qui s’avère impossible, on estime que, dans le monde, onze millions d’équidés et des dizaines demilliers de chiens et de pigeons ont été employés dans l’effort de guerre par les nations belligérantes.
Les ânes, de par leur petite taille, portaient dans les tranchées munitions, courriers et vivres. Les chevaux et lesmulets tractaient l’artillerie lourde et les obus sur le front. Les chiens messagers et ambulanciers portaient secours aux soldats blessés. Les pigeons voyageurs délivraient des messages urgents et secrets. Sans parler des canaris, souris ou grillons qui servaient à la détection des gaz.
Le rôle des animaux reconnu par les poilus
Qui mieux que les soldats a apprécié le rôle et le vécu de ces animaux de guerre ? Animé d’une volonté detransmettre, Maurice Genevoix a livré un témoignage inestimable dans Ceux de 14 (1949, réédition Librio, 2013). Ces écrits démontrent avec une grande précision le rôle et la souffrance des animaux de guerre.
Dans une lettre du 21 mai 1917, Maurice Drans écrivit au sujet d’un cheval : « Pauvre bête, disais-je, lamentable, qui cache une âme pacifique avec ton grand œil mélancolique fixé sur quelque rêve de prairie, tu ressembles à tes frères les hommes de la tranchée ! Tu peines et t’es condamnée. » (Paroles de poilus. Lettres et carnets du front, 1914-1918, Librio, 2013.)
Autre regard. Ces mots bouleversants du général Pershing, chef du contingent américain en France : « Les chevaux et les mulets de l’armée se sont montrés d’une valeur inestimable en conduisant la guerre à une fin heureuse. On les trouvait sur tous les terrains d’opérations, remplissant leurs tâches fidèlement et en silence, sans pouvoir en espérer aucune récompense ni compensation. » (Etudes drômoises, n° 71, Editions AUED, octobre 2017.)
Un soutien psychologique essentiel
Rappelons une chose elle aussi impossible à quantifier, et pourtant si déterminante dans une guerre, le moral des troupes, qui a tenu grâce aux animaux, notamment, comme l’évoque si bien le commandant Raynal au fort de Vaux, en 1916 : « Le chien Quiqui a été l’unique joie d’un enfer dont il a partagé toutes les souffrances et tous les dangers. » (Le Drame du fort de Vaux. Journal du commandant Raynal, Editions lorraines Frémont, 1919.)
En France, une poignée de communes, durement touchées par la guerre, ont édifié plusieurs monuments en mémoire des animaux de guerre. C’est le cas de Chipilly, qui, dès 1922, éleva un monument représentant un artilleur britannique enlaçant un cheval mourant durant la bataille d’Amiens. Citons également Neuville-lès-Vaucouleurs, petite commune située à 70 kilomètres de Verdun, qui érigea une statue d’un poilu enserrant un âne.
Les capitales alliées Bruxelles, Ottawa et Canberra ont, elles aussi, leur lieu de mémoire. Londres érigea un impressionnant monument bas-relief représentant toutes les espèces animales enrôlées dans la GrandeGuerre, sur lequel on peut lire : « Ils n’avaient pas le choix. » Le mémorial Animals in War a été inauguré par la princesse Anne, le 24 novembre 2004.
Reconnaître la souffrance animale
Par leur contribution inestimable et leur immense souffrance, les animaux méritent que l’on se souvienne deleur sacrifice, comme nombre de soldats le demandèrent, tel Henri Desvaux, qui, à 19 ans, fut volontaire pour l’armée d’Orient : « Je me suis retrouvé dans le 84e RI des Dardanelles et sauvé par un mulet. Sans cette bête, nous serions morts de faim et de soif, nous n’aurions pu évacuer nos blessés et même nous aurions été perdus. J’ai proposé qu’on érige un monument aux mulets. »
Avec le soutien du Souvenir français, notre association PAZ a demandé que le souvenir de cette page del’histoiresoit transmis aux générations futures au moyen de l’édification, au sein de la capitale de la France, d’un monument consacré aux animaux de guerre. Espérons que leur souvenir permettra de prendre conscience de ce que lescombattants ont dû aux animaux.
Il importe que cette lumière du passé nous conduise à mieux traiter les animaux qui nous entourent aujourd’hui, comme le souligne la gravure à Couin (Pas-de-Calais) : « Que leurs souffrances et leur mort nous amènent à savoir apporter plus de gentillesse et de respect aux animaux vivants. » Le 26 septembre 2018, le Conseil de Paris a adopté un tel vœu à l’unanimité. Un projet d’édification de ce monument par la Mairie deParis est en cours, en lien avec Le Souvenir français et notre association PAZ. Plus de trois ans après ce vote, le moment est venu de le concrétiser.