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La stérilisation chirurgicale des pigeons est pratiquée par de grandes villes en France. Bien qu’en principe non létale, cette méthode s’accompagne en pratique d’une mortalité élevée et de beaucoup de souffrance, pour une efficacité non démontrée. Elle devrait donc être abandonnée, d’autant qu’il existe des méthodes alternatives de gestion des pigeons à la fois éthiques et efficaces.

Il existe de nombreuses méthodes de limitation des populations de pigeons. L’expérience a montré que les méthodes traditionnelles, consistant à tuer des individus, que ce soit par tir au fusil ou capture suivie de gazage, sont inefficaces(1). En effet, les pigeons éliminés sont rapidement remplacés par d’autres, que ce soit par accroissement de la natalité ou par immigration d’individus provenant d’autres régions(2). Dans tous les cas, les résultats obtenus ne sont que temporaires. Dans ce contexte, le principe de la stérilisation chirurgicale des pigeons pourrait sembler intéressant. Cependant, sa mise en pratique se traduit inévitablement par des souffrances inacceptables et même une forte mortalité.

Le principe et ses limites

Dans le principe, la stérilisation chirurgicale des pigeons consiste à capturer des individus – mâles et femelles –, à les stériliser, puis à les relâcher dans leur environnement d’origine. En première analyse, cette technique présente deux avantages par rapport aux méthodes létales. Premièrement, d’un point de vue éthique, il vaut mieux a priori stériliser les pigeons que les tuer. Deuxièmement, on peut espérer un surcroît d’efficacité car les pigeons stérilisés réintègrent leur colonie et entrent en concurrence avec les individus féconds pour la même niche écologique (nourriture, partenaires sexuels, emplacements pour les nids, etc.)(3).

En pratique, les choses sont beaucoup plus compliquées. Si la faisabilité de la stérilisation chirurgicale des pigeons a fait l’objet de publications scientifiques(4,5), son efficacité réelle n’a jamais été démontrée. De plus, comme nous allons le voir, la stérilisation des pigeons est une intervention chirurgicale particulièrement lourde. Étant donné qu’il existe des méthodes alternatives efficaces, la stérilisation chirurgicale, même réalisée dans les meilleures conditions possibles, est donc inacceptable en termes éthiques. En pratique, les choses sont encore bien pires car les impératifs économiques de la stérilisation chirurgicale à grande échelle font que les bonnes pratiques vétérinaires ne sont pas respectées.

Les bonnes pratiques en chirurgie aviaire

Nous nous référons ici à la thèse de doctorat vétérinaire de Cédric Colmar, soutenue en 2008, qui traite de la chirurgie des oiseaux en général et notamment de la stérilisation(6). Certains passages sont d’un intérêt particulier quant à la stérilisation chirurgicale des pigeons :

  • « Toujours garder à l’esprit qu’un oiseau trop stressé ou en mauvais état peut mourir brusquement lors de l’examen.

  • L’anesthésie n’est jamais anodine chez l’oiseau.

  • L’anesthésie gazeuse est le protocole de choix chez l’oiseau. (…) L’anesthésie fixe chez l’oiseau est toujours plus délicate et risquée que la volatile, et ne doit être utilisée qu’en dernier recours, après une pesée précise1.

  • La douleur, quelle qu’elle soit, constitue un facteur de risque majeur pour l’animal et doit donc toujours être contrôlée et prise en charge. »

Au sujet de la castration des oiseaux mâles :

  • « Le risque d’hémorragie majeure est important, surtout sur des animaux en saison de reproduction, chez lesquels les testicules sont gros et très vascularisés.

  • La castration des oiseaux mâles reste délicate. On est ici loin d’une chirurgie de convenance.

  • Si possible, il est idéal d’espacer les exérèses2 des testicules droit et gauche de quelques jours pour faciliter la récupération de l’animal. »

Concernant la stérilisation des femelles par ovariectomie :

  • « Moins risquée que la castration des mâles (…), l’ovariectomie chez l’oiseau, hors contexte pathologique, reste une intervention majeure. Ce n’est pas une chirurgie de convenance.

  • Le risque d’hémorragie est plus faible que pour la castration chez le mâle ; cependant, une hémostase3 soigneuse reste indispensable. »

On comprend que deux problèmes se posent. D’une part, la stérilisation chirurgicale, même conduite de façon optimale, s’accompagne inévitablement de beaucoup de stress et de souffrance pour les oiseaux, ainsi que d’un risque de mortalité important : c’est une chirurgie très lourde, en aucun cas une opération de convenance. Par conséquent, la stérilisation chirurgicale des pigeons pose un problème éthique dans son principe même. D’autre part, la mise en œuvre des bonnes pratiques chirurgicales demanderait des moyens tellement considérables qu’ils en sont irréalistes. Dans les faits, les bonnes pratiques sont bafouées et les pigeons sont victimes d’une véritable barbarie.

La stérilisation chirurgicale en pratique : la SACPA et ses dérives

En France, la stérilisation chirurgicale des pigeons est effectuée par l’entreprise Pigeons Contrôle, qui fait partie du groupe SACPA. De grandes villes y ont recours. C’est par exemple le cas de Marseille, Toulouse, Nîmes, Boulogne-Billancourt, Antibes et Troyes.

Les tarifs pratiqués – qui font d’ailleurs l’objet d’une grande opacité – peuvent sembler raisonnables. Par exemple, un contrat d’environ 40 000 euros pour 10 000 pigeons à Nice en 2015(7) ou un autre d’environ 5 000 euros pour 500 à 800 pigeons à Nîmes en 2021(8). Avec de tels tarifs à moins de 10 euros par pigeon, il est totalement impossible d’effectuer une prise en charge soigneuse de chaque individu. Sur son site, la filiale de la SACPA décrit la stérilisation chirurgicale comme « une méthode de régulation douce »(9). Mais il n’en est rien.

Tout d’abord, lors d’une campagne de stérilisation, tous les pigeons capturés ne sont pas stérilisés, loin de là (nous ne développerons pas ici les enjeux que peuvent poser les procédés de capture en termes de condition animale, pour en savoir plus voir ici). En effet, après la capture, les pigeons font l’objet d’un tri : certains sont « sélectionnés » et vont être stérilisés, les autres sont tués sur place par gazage. Par exemple, le contrat conclu en 2021 entre la SACPA et la ville de Nîmes précise que la stérilisation est pratiquée sur au « maximum 20% des pigeons capturés » (sic)(8). Dans ces conditions, une intervention dite de stérilisation chirurgicale consiste en réalité à tuer la grande majorité des pigeons et à en stériliser quelques-uns. Ainsi pratiquée, c’est donc une méthode essentiellement létale. On peut par ailleurs s’étonner du fait que la technique de gazage par CO2 ait été mise au point il y a quarante ans – aucun progrès n’a-t-il été effectué depuis lors ? La SACPA écrit elle-même : « Les quantités de CO2 utilisées pour nos travaux d’euthanasie ont été proposées par nos soins et validées à l’époque par les spécialistes présents lors de la commission d’agrément du 21 avril 1982 (une vingtaine de personnes étaient présentes dont des représentants de la protection animale). »(3). Un tel amateurisme prêterait à sourire si le sujet n’était pas aussi grave. Par ailleurs, le terme euthanasie (défini comme « l’ensemble des méthodes qui provoquent une mort sans souffrance, afin d’abréger une agonie très longue, ou une maladie douloureuse à l’issue fatale. ») n’est pas du tout adapté à la situation : les pigeons sont tués alors même qu’ils sont en bonne santé, et le gazage en lui même provoque une mort lente, semblable à une noyade. Cette méthode est cruelle et douloureuse pour les pigeons.

De plus, les conditions de stérilisation des pigeons “sélectionnés” ne sont absolument pas satisfaisantes :

  • Contrairement à ce qui est recommandé, les pigeons sont anesthésiés par une injection intramusculaire dans le muscle du bréchet(9) plutôt que par anesthésie gazeuse.

  • Chez les mâles, aucun délai n’est observé entre l’ablation des testicules droit et gauche, en contradiction, encore une fois, avec les bonnes pratiques.

  • Au total, d’après la SACPA elle-même, le temps consacré à chaque pigeon sur la table d’opération « n’excède pas cinq minutes »(10).

  • Alors que les risques d’hémorragie – déjà importants – sont encore plus élevés en période de reproduction pour les mâles (de janvier à septembre), les opérations de stérilisation ont lieu toute l’année.

  • Ce n’est pas clair si les pigeons reçoivent systématiquement un traitement antalgique en post-opératoire. Dans le mémoire technique adressé à la Ville de Nîmes, Pigeons Contrôle indique donner des anti-douleurs mais tant sur son site internet(9) que dans son guide de bonnes pratiques(10), l’entreprise mentionne uniquement un traitement antibiotique.

Finalement, le taux de mortalité toléré par Pigeons Contrôle est de 10 %(3) (capture, transport, opération et stockage compris). C’est énorme : à titre de comparaison, le risque létal associé à une anesthésie est de l’ordre de 0,1 % chez les chats et de 0,05 % chez les chiens(11). Il faut d’ailleurs noter que la mortalité mesurée par Pigeons Contrôle est nécessairement sous-estimée car la surveillance des pigeons s’arrête au bout de 48 heures ou 72 heures. Ceux qui meurent au-delà de ce délai ne sont donc pas comptabilisés, si bien que le chiffre pourtant considérable de 10 % pourrait être dépassé – sans prendre en compte, bien entendu, les pigeons tués lors de la “sélection” pré-opération. Par ailleurs, PAZ note l’incohérence des chiffres présentés par l’entreprise : sur son site internet, elle indique un taux de mortalité inférieur à 5% mais dans son mémoire technique adressé à la Ville de Nîmes, elle indique un taux de mortalité accepté de 10% (et une “sélection” pré-opération de 80%).

Sur son site, la SACPA assure un taux de mortalité inférieur à 5%.

Dans son mémoire technique transmis à la Ville de Nîmes, la SACPA annonce une mortalité tolérée de 10%.

Surtout, rappelons que selon le docteur vétérinaire Cédric Colmar, la stérilisation chirurgicale est une intervention majeure chez les femelles et les mâles (même en dehors de la période de reproduction).

En 2011, l’association belge de protection des animaux GAIA a publié des images, tournées en caméra cachée, de stérilisation de pigeons effectuée par la SACPA. Il s’agissait de pigeons capturés à Bruxelles et opérés en Île-de-France, cette pratique étant interdite en Belgique. Sur la vidéo, on voit que le cahier des charges de la SACPA, pourtant insuffisant, n’est pas respecté. Les conditions d’hygiène sont mauvaises. Surtout, les pigeons ne sont pas anesthésiés lorsqu’on les opère ; ils sont pleinement conscients et montrent des signes de douleur. Des vétérinaires spécialistes des oiseaux ont réagi pour dénoncer les conditions d’hygiène et d’anesthésie inadéquates et qualifier cette pratique de « maltraitance animale »(12).

Depuis la diffusion de ces images révoltantes, la ville de Bruxelles a mis fin à sa collaboration avec la SACPA(13) et s’est orientée vers des méthodes éthiques fondées sur la contraception(14).

Mais la SACPA et Pigeons Contrôle continuent de pratiquer la stérilisation chirurgicale des pigeons en France. Pourtant, des méthodes alternatives, éthiques et efficaces, sont disponibles. Le maïs contraceptif, en particulier, est utilisé dans de nombreuses villes européennes parmi lesquelles Gênes et Barcelone où son efficacité a été amplement démontrée(15,16).

En résumé, la stérilisation chirurgicale des pigeons est une méthode qui s’accompagne inévitablement d’une forte mortalité et de souffrances importantes pour les pigeons. Cette technique, dont l’efficacité n’a jamais été démontrée, est encore utilisée dans de nombreuses villes françaises. C’est d’autant plus incompréhensible qu’il existe des méthodes alternatives à la fois éthiques et efficaces, telles que les pigeonniers contraceptifs et le maïs contraceptif.

Notes de bas de page

1 L’anesthésie volatile est une anesthésie gazeuse, administrée par masque ; l’anesthésie fixe est pratiquée par injection.
2 Exérèse est synonyme d’ablation. C’est le fait d’enlever une structure anatomique, ici les testicules.
3 Dans ce contexte, l’hémostase désigne l’ensemble des techniques utilisées par le chirurgien pour arrêter le saignement : compression, ligature, cautérisation, etc.

Références

1. Senar JC, Carrillo J, Arroyo L, Montalvo T, Peracho V. 2009. Estima de la abundancia de palomas (Columba livia var.) de la ciudad de Barcelona y valoración de la efectividad del control por eliminación de individuos. Arxius de Miscel·lànea Zoològica, vol. 7: 62–71, Doi: http://doi.org/10.32800/amz.2009.07.0062

2. Dehay C. 2008. Fidélité des pigeons à un pigeonnier urbain, EPHE.

3. Groupe SACPA – Pigeons Contrôle. 2019. Mémoire technique. Campagne de capture-stérilisation de pigeons pour l’année 2019. Organisme acheteur : Nîmes.

4. Heiderich E, Schildger B, Lierz M. Endoscopic Vasectomy of Male Feral Pigeons (Columba livia) as a Possible Method of Population Control. 2015. J Avian Med Surg. 29(1):9-17. doi:10.1647/2013-063. PMID: 25867661.

5. Heiderich E, Failing K, Lierz M, Schildger B. The effect of endoscopic sterilization on reproductive behavior and pair bond maintenance of feral pigeons (Columba livia). 2016. Tierarztl Prax Ausg K Kleintiere Heimtiere. 44(2):94-104. doi:10.15654/TPK-150290. Epub 2016 Mar 23. PMID: 27004497.

6. Colmar CA. 2008. Prise en charge chirurgicale de l’oiseau : fichier technique à l’attention du praticien. Université Paul-Sabatier de Toulouse.

7. France 3 PACA – La stérilisation des pigeons à Nice fait polémique : https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/nice/la-sterilisation-des-pigeons-nice-fait-polemique-571230.html (consulté le 25/11/2022)

8. Groupe SACPA – Pigeons Contrôle. Bordereau des prix. Campagne de capture-stérilisation de pigeons pour l’année 2021. Organisme acheteur : Nîmes.

9. Pigeons Contrôle – La stérilisation chirurgicale. https://www.pigeons-controle.fr/sterilisation-chirurgicale (consulté le 25/11/2022)

10. Groupe SACPA – Guide de bonnes pratiques et protocole spécifique à la régulation des pigeons en milieu urbain au moyen de la stérilisation chirurgicale.

11. Matthews NS, Mohn TJ, Yang M, Spofford N, Marsh A, Faunt K, Lund EM, Lefebvre SL. 2017. Factors associated with anesthetic-related death in dogs and cats in primary care veterinary hospitals. JAVMA, 250:6. DOI: https://doi.org/10.2460/javma.250.6.655

12. GAIA – Une vidéo accuse la ville de Bruxelles de maltraitance animale : https://www.gaia.be/fr/actualite/video-accuse-ville-bruxelles-maltraitance-animale (consulté le 25/11/2022)

13. GAIA – La Ville de Bruxelles renonce aux stérilisations brutales des pigeons grâce aux actions de GAIA : https://www.gaia.be/fr/actualite/ville-bruxelles-renonce-aux-sterilisations-brutales-des-pigeons-grace-aux-actions-gaia (consulté le 25/11/2022)

14. GAIA – GAIA satisfait de la politique douce de gestion des pigeons : https://www.gaia.be/fr/actualite/gaia-satisfait-politique-douce-gestion-des-pigeons (consulté le 25/11/2022)

15. Albonetti P, Marletta A, Repetto I, Sasso E. 2015. Efficacy of nicarbazin (Ovistop®) in the containment and reduction of the populations of feral pigeons (Columba livia var. domestica) in the city of Genoa, Italy: A retrospective evaluation. Vet. Ital. 2015, 51,63–72.

16. González-Crespo C, Lavín, S. 2022. Use of Fertility Control (Nicarbazin) in Barcelona: An Effective yet Respectful Method towards Animal Welfare for the Management of Conflictive Feral Pigeon Colonies. Animals, 12, 856. https://doi.org/10.3390/ani12070856