Evolve est une nouvelle solution non létale pour limiter les populations de rongeurs. L’efficacité de ce produit repose sur les propriétés contraceptives de l’huile de coton.
De nos jours, la limitation des populations de rongeurs urbains repose encore pour l’essentiel sur des méthodes létales. C’est inacceptable à plusieurs titres. D’une part, ces méthodes sont toutes sources de souffrances intolérables pour les animaux. D’autre part, ces méthodes sont inefficaces à long terme car les individus survivants se reproduisent de façon accélérée (1) et parce que des résistances peuvent apparaître, notamment dans le cas des anticoagulants (2). Enfin, pour les anticoagulants et les pièges à colle, l’absence de spécificité de ces méthodes létales fait que d’autres animaux peuvent en être victimes (chats, chauves souris, oiseaux) (3).
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de mettre en place une gestion intégrée des populations de rongeurs, reposant sur des méthodes non létales. Cette gestion alternative doit comporter plusieurs volets. L’un d’eux est, à l’évidence, une meilleure gestion des déchets. Un autre est l’usage de méthodes contraceptives. En effet, l’entreprise SenesTech distribue depuis quelques années ContraPest, une association de deux molécules contraceptives, le 4-vinylcyclohexene diepoxide et le triptolide, qui diminue la fertilité des rats mâles et femelles (voir notre article à ce sujet). La même entreprise commercialise depuis 2023 un nouveau produit, nommé Evolve, dont l’effet contraceptif repose sur l’huile de coton.
L’huile de coton est une huile issue des graines du cotonnier. La graine de coton présente une structure de graine oléagineuse, avec un noyau entouré d’une coque extérieure dure. C’est du noyau que l’huile est extraite. Elle est utilisée à des fins alimentaires. L’huile de coton est également utilisée en agriculture car elle possède un important pouvoir insecticide. En effet, sa fonction adaptative favorise la résistance naturelle du cotonnier aux insectes.
De plus, l’huile de coton présente des propriétés contraceptives. Cela a été mis en évidence par une étude menée en Chine dans les années 1920. Celle-ci a montré une corrélation entre la faible fertilité masculine et l’utilisation d’huile de coton brute pour la cuisine (4). Des études ultérieures ont confirmé que l’huile de coton exerce chez les mammifères un effet contraceptif transitoire et ont identifié le gossypol comme la molécule responsable de cet effet (5).
Le gossypol, de formule chimique C30H30O8, est un composé polyphénolique jaune présent dans de minuscules glandes situées dans les graines du cotonnier. Le gossypol n’est pas un perturbateur endocrinien : son effet contraceptif repose sur sa capacité à interagir avec les membranes biologiques et à favoriser la formation de dérivés réactifs de l’oxygène. En cas d’accumulation d’importantes quantités de gossypol au niveau du testicule (5), cela engendre des lésions de l’épithélium germinal qui sont responsables d’une diminution de la fertilité des mâles exposés au gossypol (6).
En pratique, les rats mâles traités au gossypol présentent une diminution du taux de testostérone ainsi que du nombre et de la mobilité de leurs spermatozoïdes. En conséquence, la probabilité de gestation des femelles accouplées aux mâles traités est diminuée (6). Ces effets nécessitent une administration orale répétée qui entraîne une bioaccumulation relativement importante * (7).
Le gossypol exerce donc un effet contraceptif en réduisant la fertilité des mâles. Mais il diminue également la fertilité des rats femelles en provoquant des cycles œstraux irréguliers et plus longs, un délai avant l’accouplement prolongé, un taux de grossesse réduit et un nombre diminué d’embryons viables (8).
Evolve se décline en deux versions, pour les rats et pour les souris. Il se présente sous la forme de petites saucisses contenant 0,2 % d’huile de coton. Ce conditionnement solide d’Evolve le rend plus facile à déployer que ContraPest, lequel se présente sous forme liquide. Comme l’effet contraceptif de l’huile de coton est transitoire, Evolve doit être administré en continu. Les propriétés de ce produit ont été étudiées à la fois en laboratoire et en conditions de terrain. Comme pour les anticoagulants, ces petites saucisses contraceptives peuvent être disposées dans des boîtes en plastique visant à sélectionner les animaux qui y entrent, de sorte à appâter principalement des rongeurs.
Une étude de laboratoire conduite par SenesTech (9) montre que :
- Le produit est spontanément consommé par les rats.
- Il n’entraîne aucune toxicité détectable pour les individus qui le consomment.
- Il diminue bien la fertilité : les rats qui le consomment ont moins de portées et un nombre de petits par portée diminué.
Des études de terrain ont également été menées dans de nombreuses villes américaines (New York, Boston, San Francisco, Los Angeles, etc.) ainsi qu’à Hong-Kong. Selon SenesTech, elles ont permis de confirmer la faisabilité et l’efficacité d’Evolve en conditions de terrain (10). Ces résultats, qui demandent à être confirmés par des publications scientifiques indépendantes, sont donc extrêmement encourageants. Aux États-Unis, l’acceptation d’Evolve est telle que les particuliers peuvent se le procurer sur Amazon.
Evolve est une nouvelle alternative aux méthodes létales de limitation des populations de rongeurs. Fondé sur la contraception, Evolve constitue une méthode éthique qui peut, contrairement aux méthodes létales, présenter une efficacité de long terme. De fait, ses premiers résultats sont très encourageants. Pourtant malgré le fait que le produit Evolve soit disponible à la commercialisation en France, il n’est pas encore utilisé par les mairies, ni commercialisé par les chaînes de supermarchés alors même que son usage est largement banalisé aux États-Unis et dans de nombreux autres pays.
Note de bas de page :
* Cela ne doit cependant pas être un sujet d’inquiétude : un prédateur ou un charognard qui mangerait un rat traité par gossypol ne risquerait qu’une stérilité transitoire. C’est là une différence appréciable avec les anticoagulants.
Références
1 – Peter R. Brown, Nguyen Phu Tuan. Compensation of rodent pests after removal: control of two rat species in an irrigated farming system in the Red River Delta, Vietnam. Acta Oecologica, Volume 28, Issue 3 (2005). https://doi.org/10.1016/j.actao.2005.05.002
2 – C.F. McGee, D.A. McGilloway, A.P. Buckle. Anticoagulant rodenticides and resistance development in rodent pest species – A comprehensive review. Journal of Stored Products Research, Volume 88 (2020). https://doi.org/10.1016/j.jspr.2020.101688.
3 – Massei, Giovanna. 2023. « Fertility Control for Wildlife: A European Perspective » Animals 13, no. 3: 428. https://doi.org/10.3390/ani13030428
4 – YU, Z.-H. and CHAN, H.C. (1998), Gossypol as a male antifertility agent – why studies should have been continued. International Journal of Andrology, 21: 2-7. https://doi.org/10.1046/j.1365-2605.1998.00091.x
5 – Gadelha, Ivana Cristina N., Fonseca, Nayanna Brunna S., Oloris, Silvia Catarina S., Melo, Marília M., Soto-Blanco, Benito, Gossypol Toxicity from Cottonseed Products, The Scientific World Journal, 2014, 231635, 11 pages, 2014. https://doi.org/10.1155/2014/231635
6 – Santana, A.T., Guelfi, M., Medeiros, H.C.D. et al. Mechanisms involved in reproductive damage caused by gossypol in rats and protective effects of vitamin E. Biol Res 48, 43 (2015). https://doi.org/10.1186/s40659-015-0026-7
7 – Othman MA, Abou-Donia MB. Pharmacokinetic profile of (+/-)-gossypol in male Sprague-Dawley rats following single intravenous and oral and subchronic oral administration. Proc Soc Exp Biol Med. 1988 May;188(1):17-22. https://doi.org/10.3181/00379727-188-42700.
8 – Lagerlöf, R. K., & Tone, J. N. (1985). The Effect of Gossypol Acetic Acid on Female Reproduction. Drug and Chemical Toxicology, 8(6), 469–482. https://doi.org/10.3109/01480548509041070
9 – https://www.nobedbugs-hk.com/wp-content/uploads/2024/06/Evolve-Lab-Efficacy-Summary.pdf