Dans le domaine de la gestion des animaux liminaires, tout le monde devrait pouvoir se mettre d’accord sur un principe : ne pas infliger de souffrances inutiles. Dans cette perspective, une étude menée par l’université d’Oxford, publiée en février 2022 dans la revue scientifique Animal Welfare, a comparé la souffrance infligée aux rats par différentes méthodes létales. Cet article en est un résumé. Précisons que cette étude ne mentionne pas toutes les méthodes létales (par exemple, le piégeage par noyade ou l’utilisation du gaz carbonique ne sont pas évoqués).
Remarque PAZ : Cette étude utilise le mot anglais “welfare” qui signifie “bien-être”. Dans le contexte de méthodes létales, nous estimons que ce terme est totalement inapproprié et qu’il contribue à minimiser, voire à rendre la souffrance invisible. De façon générale, nous évitons l’expression « bien-être animal » car elle est trompeuse. En effet, lorsque l’on parle de bien-être à propos des humains, c’est généralement pour évoquer des plaisirs, comme un spa ou une soirée entre amis. Mais le « bien-être animal » ne consiste généralement qu’en la limitation des souffrances, comme l’abattage avec étourdissement, ou la satisfaction de besoins absolument élémentaires, comme disposer d’une ration d’eau et de nourriture suffisante. En désignant deux choses différentes selon qu’on parle des humains ou des animaux, le terme de “bien-être” est source de confusion, au détriment des animaux. C’est pourquoi, dans cet article, nous parlons en termes de « souffrance » plutôt que d’ « impact sur le bien-être ».
L’objectif de cette étude était d’évaluer de façon comparative la souffrance des rats pour différentes méthodes létales :
Le piégeage par percuteur (ou « tapette »). La capture du rat et sa mise à mort se font en un seul temps.
Le piégeage en cage. La mise à mort survient secondairement par l’administration par un humain d’un choc violent sur la tête.
Le piégeage à la glu. Le rat est immobilisé sur un support enduit de glu. Là aussi, la mort est donnée secondairement par un coup violent sur la tête.
L’empoisonnement. Le rat ingère un appât contenant une substance toxique pour lui. Cette substance peut être :
un rodenticide anticoagulant, qui provoque des hémorragies ;
le cholécalciférol (ou vitamine D3), qui perturbe le métabolisme du calcium et engendre des défaillances cardiaques et rénales ;
la cellulose, qui entraîne une déshydratation par dysfonctionnement du système digestif.
Protocole d’évaluation
Pour évaluer les différentes méthodes, quinze experts ont été réunis. Il s’agissait de vétérinaires et de spécialistes de la gestion de la faune sauvage, de la gestion des rongeurs, de la biologie des rongeurs et de la science du “bien-être animal”. En se fondant sur leur propre expérience et sur les données de la littérature scientifique, les experts ont évalué la souffrance des rats pour chaque méthode.
L’évaluation de chaque méthode repose sur une variante du Modèle des Cinq Domaines de Mellor et Reid, initialement conçu pour évaluer la souffrance des animaux d’élevage. Les différentes méthodes ont été évaluées en termes de :
privation d’eau ou de nourriture (domaine de la nutrition) ;
perturbation de l’environnement du rat (domaine de l’environnement) ;
maladie, blessure, perturbation fonctionnelle (domaine de la santé) ;
restriction des possibilités comportementales et d’interaction avec les congénères (domaine du comportement) ;
états mentaux négatifs résultant de toutes ces perturbations : soif, douleur, peur, détresse, etc. (domaine de l’état mental).
L’évaluation est divisée en deux parties : la souffrance des rats avant la mise à mort (partie A) et lors de la mise à mort elle-même (partie B). En prenant en compte l’ensemble des cinq domaines, les experts évaluent l’intensité et la durée de l’impact, et attribuent à chaque méthode un score allant de 1 (pas d’impact) à 8 (impact extrême pendant plusieurs jours) pour la partie A, et de A (pas d’impact) à H (impact extrême pendant plusieurs jours) pour la partie B.
Résultats
Les résultats sont résumés dans la figure ci-dessous.
1. Le piégeage par percuteur
Pour la partie A, c’est-à-dire avant la capture, le piégeage par percuteur obtient un score de 5, correspondant à un impact léger pouvant s’étendre sur plusieurs jours. Cet impact est dû au fait que la présence du percuteur, en modifiant l’environnement du rat, peut être responsable d’anxiété.
Pour la partie B, c’est-à-dire la mise à mort elle-même, le score des percuteurs est compris entre A et F. Cela signifie que les souffrances du rat peuvent aller d’aucune souffrance à des souffrances extrêmes, pendant plusieurs secondes à plusieurs minutes. Il y a ainsi une grande incertitude quant aux souffrances engendrées par les percuteurs. Cette incertitude est due à la variabilité à la fois de la puissance de la frappe et du lieu anatomique sur lequel elle s’exerce. En effet, le type de lésions engendrées et donc le mode de décès dépendent de ces deux paramètres. Idéalement, le percuteur devrait frapper la partie caudale du crâne ou les vertèbres cervicales supérieures avec une force d’impact suffisante pour provoquer une perte de conscience immédiate suivie de la mort. En revanche, un coup trop faible ou porté ailleurs engendre une mort plus lente, le plus souvent par hémorragie, asphyxie ou interruption du flux sanguin vers le cerveau. Un rat piégé conscient subira des impacts comportementaux tels que l’impossibilité de s’échapper ou de socialiser, et des impacts mentaux comme la douleur, la peur et la détresse.
Ainsi, le score global du piégeage par percuteur est 5A-F.
2. Le piégeage en cage
Pour la partie A, la présence de la cage peut perturber l’environnement du rat pendant plusieurs jours, pour les mêmes raisons que le percuteur. De plus, le rat peut rester piégé dans la cage pendant plusieurs heures (les auteurs font l’hypothèse que, conformément aux bonnes pratiques, les cages sont relevées toutes les 12 heures). Il en résulte un impact lié à la restriction des comportements : impossibilité par exemple de se cacher ou de fuir devant un prédateur, ou pour une femelle, de prendre soin de ses petits. Les rats peuvent également souffrir du manque d’eau et de nourriture. Tout cela peut entraîner peur et détresse. L’impact de la période passée dans la cage est estimé modéré à sévère. Le score attribué à la partie A est 5-6.
Pour la partie B, l’impact est considéré comme modéré et durant au maximum quelques minutes (score D). Le rat doit être sorti de la cage et positionné dans un sac avant qu’on lui administre le coup mortel. Il est probable qu’il éprouve peur et détresse pendant ce processus. En revanche, si le coup est correctement administré, le rat doit être rendu inconscient de façon quasi instantanée.
Le score global du piégeage en cage est 5-6D.
3. Le piégeage à la glu
Pour la partie A, le piégeage à la glu est associé à un impact extrême s’étendant sur plusieurs heures, ce qui correspond à un score de 7. Cela est dû en grande partie aux impacts fonctionnels et comportementaux. En plus de ne pas pouvoir se livrer à leurs comportements habituels, les rats piégés en cage, tout comme les rats piégés dans la glu, luttent pour s’échapper. Ils risquent de se déchirer la peau et de se briser des os. Parfois, ils rongent leurs propres membres. Leurs yeux et leur bouche peuvent rester fermés par la glu. Les rats se débattent et peuvent mourir d’épuisement ou d’étouffement dans la glu. Ils peuvent déféquer et uriner de manière excessive et se retrouver couverts de leurs excréments. Les impacts mentaux sont susceptibles d’inclure l’anxiété, la peur, la douleur, la faim et la soif, la panique, et la détresse. Les rats peuvent survivre longtemps sur les pièges à glu et y rester jusqu’à 12 heures avant d’être trouvés et tués, si les recommandations de bonnes pratiques sont suivies. On peut voir ici un exemple, pénible, de piégeage à la glu.
Pour la partie B, l’impact est léger à modéré, durant quelques secondes à quelques minutes (score B-D). Comme dans le cas du piégeage en cage, il s’agit d’administrer un coup mortel sur la tête. Le score est meilleur que pour le piégeage en cage car le rat est tué sur la glu, sans qu’il soit nécessaire de le transférer dans un sac. Cela doit engendrer moins de peur et de détresse.
Le score global du piégeage à la glu est 7B-D.
4. L’empoisonnement
Pour la partie A, les différentes méthodes d’empoisonnement se voient attribuer le même score de 5 correspondant à un impact léger s’étendant sur plusieurs jours, lié à la perturbation de l’environnement des rats : les sources habituelles de nourriture sont autant que possible supprimées et les appâts sont mis en place. Pour la partie B, il convient de distinguer les trois méthodes d’empoisonnement étudiées.
Les anticoagulants ont un impact sévère à extrême, et la mort due aux hémorragies ne survient qu’au bout de plusieurs jours (score G-H). Les hémorragies internes peuvent survenir au niveau de n’importe quel organe. Dans les poumons, elles provoquent une gêne respiratoire, au niveau du cerveau, elles peuvent être responsables de paralysie, situées dans les muscles et les articulations, elles causent des douleurs sévères. Les rats empoisonnés par anticoagulant font moins leur toilette et sont plus exposés à la prédation. Ils doivent ressentir douleur, faiblesse, fatigue, soif, anxiété et peur. L’impact est d’autant plus important que les rats restent généralement conscients jusqu’au moment de la mort.
L’empoisonnement par le cholécalciférol a un impact sévère à extrême pendant plusieurs jours (score G-H). Le cholécalciférol agit en augmentant la calcémie (concentration de calcium dans le sang), ce qui entraîne une calcification des reins, des vaisseaux sanguins et du cœur, puis une insuffisance rénale ou cardiaque aiguë. Les rats empoisonnés vomissent, ont du mal à respirer, présentent des hémorragies et des troubles neurologiques qui compromettent leurs comportements normaux, en particulier la fuite devant les prédateurs. L’impact mental est massif : apathie, douleur, soif, nausée, peur, anxiété.
L’empoisonnement par la cellulose a lui aussi un impact sévère à extrême pendant plusieurs jours (score G-H). La cellulose agit en provoquant un transfert d’eau de la circulation sanguine vers la lumière intestinale, ce qui entraîne déshydratation, hypovolémie (diminution du volume sanguin), chute de la pression artérielle et finalement défaillance multiviscérale. L’ingestion de cellulose peut également provoquer une occlusion intestinale. Paradoxalement, les rats empoisonnés à la cellulose diminuent leur apport hydrique, ce qui suggère que le mécanisme normal de la soif est peut-être altéré. Les rats doivent ressentir douleur et inconfort gastro-intestinaux, nausée, faiblesse, faim, ainsi que peur et anxiété, puisqu’ils ne sont pas en mesure de fuir ou de se défendre normalement.
Finalement, le score global des trois méthodes d’empoisonnement est le même : 5G-H.
En résumé, le piégeage à la glu ainsi que chacune des trois méthodes d’empoisonnement étudiées sont responsables de souffrances intenses et prolongées. À ce titre, ces méthodes devraient être évitées en toute circonstance. En Belgique, Pays de Galles, Islande, Espagne et Angleterre, il est interdit d’utiliser ces produits. En Irlande et en Nouvelle-Zélande, leur vente est interdite et dans plusieurs états indien il est même interdit d’en fabriquer.
Par comparaison, le piégeage par percuteur et le piégeage en cage obtiennent de meilleures notes sur l’échelle établie par les experts. La souffrance des animaux peut tout de même être intense au vu des incertitudes d’exécution. Par exemple, dans le cas du piégeage par percuteur, cela va d’une quasi absence de souffrance lors de la mise à mort, à des souffrances extrêmes durant plusieurs minutes. Cette variabilité est liée en grande partie aux propriétés physiques du percuteur, qui doit délivrer la frappe la plus puissante possible pour provoquer une perte de conscience immédiate. Les auteurs appellent de leurs vœux recherche et réglementation pour définir les caractéristiques des meilleurs percuteurs et les imposer en pratique. Dans le cas du piégeage en cage, l’impact pourrait être limité en diminuant le temps passé par les rats dans la cage. Il faudrait pour cela vérifier les cages à une fréquence accrue ou avoir recours à un système de surveillance à distance. Il serait également souhaitable d’utiliser des cages couvertes (qui limitent la sensation d’insécurité du rat), contenant de l’eau et un couchage. Enfin, les agents responsables de porter au rat le coup mortel devraient être formés de façon à le faire avec un maximum d’expertise.
Il ressort de cette étude que les méthodes entraînant le plus de souffrance sont le piégeage à la glu et l’empoisonnement. Ces méthodes devraient donc être systématiquement évitées. Le piégeage en cage engendre également des souffrances. Celles liées au piégeage par percuteur sont très variables, en relation avec les propriétés physiques du percuteur. Les auteurs de l’étude appellent à un travail sur ces propriétés afin de limiter le temps de mise à mort. Des percuteurs « optimisés » pourraient représenter, parmi les méthodes létales, celle qui provoque le moins de souffrance.
Cette étude rappelle néanmoins que toutes les méthodes létales sont source de souffrance. Les rats sont des êtres sensibles et il est indispensable d’engager des moyens pour développer des méthodes alternatives non létales.
Référence
Baker, SE ; Ayers, M ; Beausoleil, NJ ; Belmain, SR ; Berdoy, M ; Buckle, AP ; Cagienard, C ; Cowan, D ; Fearn-Daglish, J ; Goddard, P ; Golledge, HDR ; Mullineaux, E ; Sharp, T ; Simmons, A ; Schmolz, E. 2022. An assessment of animal welfare impacts in wild Norway rat (Rattus norvegicus) management. Animal Welfare, Volume 31, Number 1, February 2022, pp. 51-68(18). DOI: https://doi.org/10.7120/09627286.31.1.005