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Les fêtes médiévales présentent régulièrement des animaux sauvages dressés : ours, loups, rapaces… N’en déplaise aux dresseurs, nous ne sommes plus au Moyen Âge et la loi française en a pris acte : à compter du 1er décembre 2023, il sera illégal de présenter des ours et des loups dans les spectacles itinérants – une mesure qui concernera tous les animaux sauvages, y compris les rapaces, dès 2028. En effet, ces spectacles ont beau être présentés comme des moments ludiques ou pédagogiques, ils causent pourtant du tort aux animaux de bien des manières.

Un autre argument souvent évoqué pour justifier les spectacles de rapaces dans les fêtes médiévales (qui ont pour but de replonger le public dans l’époque du Moyen Âge) est la tradition. Or, si la fauconnerie en tant que chasse au faucon était en effet une pratique ancestrale réservée aux seigneurs, il n’en est pas de même pour les numéros de rapace qui n’existaient pas à l’époque. De plus, la fauconnerie de chasse médiévale mobilisait essentiellement des petits rapaces, faucons ou éperviers, et certainement pas de grands oiseaux comme les vautours ou les aigles de tout continent. 


Des animaux sauvages malheureux dans les spectacles

Contrairement aux idées qu’on peut s’en faire, les spectacles de rapaces des fêtes médiévales ne présentent pas que des faucons mais une grande variété d’oiseaux, des plus petits aux plus grands, afin d’impressionner le public.

 

Certaines espèces présentées par les dresseurs ne sont pas accoutumées aux climats européens tempérés, puisqu’elles sont originaires d’autres continents. C’est par exemple le cas du grand-duc africain, un oiseau utilisé par certaines compagnies françaises qui est pourtant endémique d’Afrique subsaharienne ou de la péninsule arabique1, et plus habitué à survoler la savane que les publics français. Ces animaux, accoutumés à d’autres climats, ne peuvent pas s’épanouir pleinement sous nos latitudes. Leur utilisation dans les spectacles ne vise qu’à entretenir un culte de l’exotisme, bien loin de la  « pédagogie » dont les compagnies de fauconnerie se targuent.

 

Les oiseaux européens comme les buses variables, ne souffrent pas moins de leur exploitation dans les spectacles. Comme le rappelle la vétérinaire Monique Bourdin, bien qu’ils soient nés en captivité, les animaux sauvages utilisés pour le divertissement conservent le même patrimoine génétique que leurs congénères libres, et ont donc les mêmes besoins2,3 : liberté, chasse, exploration de leur environnement,  parcours d’une certaine distance par jour, à une certaine vitesse… La captivité et le dressage vont à l’encontre de ces besoins. Par exemple, à l’état sauvage, les pygargues à tête blanche, oiseaux emblématiques d’Amérique du Nord, explorent les alentours de leur nid à 800 mètres dans toutes les directions, peuvent voler jusqu’à 70 km / heure et atteindre la vitesse de 120 km / heure lors de leurs plongeons4. Comment imaginer qu’ils puissent s’épanouir en captivité, ou lors de spectacles où ils sont contraints à des vols chorégraphiés de quelques dizaines de mètres ? 

Par ailleurs, certaines compagnies de fauconnerie n’hésitent pas à inclure des rapaces nocturnes dans des spectacles diurnes. C’est par exemple le cas des grands-ducs africains ou des chouettes effraies qui ne sont naturellement actifs qu’au crépuscule5. De plus, les fêtes médiévales ayant souvent lieu l’été, ces oiseaux habitués à des températures fraîches sont souvent contraints d’exécuter leurs tours sous un soleil brûlant, ce qui contrevient totalement à leurs comportements naturels.

Des spectacles violents et dangereux pour les animaux

Les spectacles de rapaces dans les fêtes médiévales consistent généralement à faire voler les oiseaux du poing d’un dresseur à un autre (parfois on leur fait aussi accomplir des tours comme voler au ras des têtes du public6, ou encore se saisir de la casquette d’un spectateur). Les compagnies de fauconnerie ont beau leur donner nom de « vol libre », les rapaces ne sont pas naturellement prompts à exécuter ces numéros. Pour obtenir ces « prestations », les dresseurs les soumettent à des protocoles violents. Ainsi, comme l’explique un des témoins dans l’affaire Pierre Cadéac, une des techniques centrales pour dresser un animal, est la privation de nourriture. Sur leur site, Les Effaroucheurs du Ciel expliquent leur méthode : affamer l’oiseau lors de périodes d’apprentissage de rappel, au point de lui faire perdre jusqu’à 20 % de son poids initial7. S’il refuse d’exécuter certaines tâches, il est à nouveau recommandé de l’affamer : « Il y a de fortes chances que l’oiseau ne vienne pas ! Dans ce cas, il faudra diminuer la ration quotidienne et renouveler jusqu’à ce que le rapace saute au gant.  » La faim fait ainsi partie du quotidien des oiseaux utilisés dans les spectacles, que ce soit durant la phase du dressage avant les représentations ou pour les faire obéir lors du numéro (la faim les pousse à revenir sur les gants des dresseurs où ils reçoivent de la nourriture).

 

Soulignons que la façon dont les animaux sont traités en dehors du spectacle est, par définition, cachée aux yeux du public. En avril 2022, le célèbre dresseur Pierre Cadéac a été filmé en train de donner un violent coup de poing à un aigle pygargue. Suite à la diffusion de cette vidéo, une quinzaine de personnes ayant travaillé avec lui ont témoigné devant la justice aux côtés de PAZ. Leurs témoignages glaçants révèlent la violence quotidienne qu’endurent les animaux… La preuve vidéo et ces accusations extrêmement graves ne découragent pas certains organisateurs de fêtes médiévales de l’inviter : en 2023, il présentera un numéro avec une meute de loups et un spectacle de fauconnerie à la dixième édition de la fête médiévale du Château de La Chapelle d’Angillon8.

Outre la violence du dressage, les spectacles sont très stressants pour les rapaces qui se retrouvent plongés dans un environnement bruyant, entre les cris des spectateurs et la présentation souvent exécutée au micro par leurs dresseurs, alors que ce sont des animaux qui ont l’ouïe particulièrement fine9. De plus, pour les fêtes médiévales, les oiseaux doivent être acheminés sur place par les compagnies de fauconnerie : non seulement ils ne connaissent pas les lieux, mais ils subissent le transport. Ils sont souvent transportés dans des remorques comprenant des caisses ou boxes individuels, attachés par une patte sur un perchoir, dans l’obscurité totale10. Limiter le stress des animaux n’est pas la priorité des compagnies de fauconnerie qui peuvent se rendre à des événements très éloignés de leur élevage, faisant ainsi endurer de longues heures de trajet aux animaux. Certaines compagnies vont jusqu’à proposer des prestations ubuesques, comme Les Ailes de l’Urga, qui font des numéros dans lesquels les oiseaux sont dressés à interagir avec des chevaux. Ils organisent par ailleurs des représentations dans des « lieux insolites » comme le gouffre de Cabrespine11, une caverne d’une profondeur de 250 mètres qui n’aurait jamais fait partie de l’environnement naturel des grands rapaces ou des chouettes effraies qu’ils mettent en scène. Quant à la compagnie Les Géants du ciel, qui intervient également lors de fêtes médiévales12, elle propose par ailleurs un spectacle où les oiseaux sont exposés au feu : encerclés par les flammes ou contraints de se poser sur des torches enflammées pour le spectacle, les oiseaux sont décidément soumis à des pratiques bien éloignées non seulement d’une prétendue pédagogie, mais aussi de leurs besoins naturels. Il s’agit au fond d’une véritable maltraitance.

Il n’y a donc pas à s’étonner si de nombreux oiseaux cherchent à s’enfuir lors des représentations : 

  • en 2019 un pygargue à tête blanche s’est échappé d’un parc animalier pendant un spectacle13 ;

  • en 2020, un faucon sacre, prénommé Czongor, s’est échappé du spectacle de Chambord14 ;

  • en 2020, le faucon sacre de Jurafaune s’est échappé durant un spectacle15 ;

  • en juillet 2022, un faucon s’est échappé lors d’un entraînement après avoir été attaqué par d’autres oiseaux16

  • en 2022, Olympe, un jeune milan royal, s’est évadé plusieurs semaines17

  • en octobre 2022, un faucon de la compagnie Hippogriffe s’est échappé lors d’une représentation18

  • en juin 2023, Rita, une Caracara s’est échappée plusieurs semaines de sa fauconnerie19

La liste est encore longue… Ces animaux qui s’évadent sont en grand danger : après une vie de captivité, ils sont souvent incapables de se nourrir par eux-mêmes. Ils mettent également en danger les autres animaux sauvages, en perturbant leur comportement ou en les attaquant, et ont même été soupçonnés d’attaquer des joggeurs20,21. D’autres rapaces attaquent des spectateurs. En 2016, un enfant de 6 ans a été attaqué par un aigle lors d’un spectacle de fauconnerie22 : l’oiseau a tenté de l’enlever en lui agrippant la tête. En Belgique, c’est un vautour qui s’en est pris à un enfant, en lui donnant un coup de bec au visage, ce qui lui a causé des blessures près des yeux et de la bouche23.

Une vaste supercherie

Pour justifier leurs activités, les compagnies de fauconnerie argumentent souvent un intérêt pédagogique voire leur prétendu rôle dans la préservation d’espèces menacées. Mais éloignés de leur milieu naturel, affamés, contraints, enfermés, apeurés… Que reste-t-il à ces animaux pour représenter le monde sauvage ? En réalité, l’intérêt pédagogique de ce type de spectacle se limite au discours du dresseur, qui se contente de réciter au micro des informations banales sur l’espèce utilisée. Ces données banales, qu’on pourrait retrouver en quelques clics sur Internet ou dans n’importe quel ouvrage sur les oiseaux à destination des jeunes lecteurs, n’ont absolument aucun rapport avec les actions des oiseaux, qui ne font que voler du poing d’un dresseur à un autre. Notons d’ailleurs que les compagnies ne se targuent plus de pédagogie quand il s’agit de vendre leurs prestations dans d’autres contextes… Par exemple, la compagnie Falcon Temporis24 propose aussi ses services lors de cérémonies de mariage25 où les rapaces ne servent qu’à prendre de belles photos. Quant à l’argument de la conservation des espèces, maintenir des animaux en captivité ne remédie en rien aux disparitions d’espèces sauvages ! Exhiber des espèces en danger critique d’extinction, comme des vautours charognards (Necrosyrtes monachus)26, a pour seul but d’épater le public. Si l’on veut préserver les espèces, il faut nécessairement s’attaquer aux causes de leur extinction, que sont généralement la destruction des habitats et/ou la chasse.

 

Un autre argument souvent évoqué pour justifier les spectacles de rapaces dans les fêtes médiévales (qui ont pour but de replonger le public dans l’époque du Moyen Âge) est celui de la tradition. Mais cet argument a ses limites, et il est louable que les fêtes médiévales ne mettent pas en scène toutes les “traditions” historiques, telles que chasses aux sorcières, actes de torture, montreurs d’ours ou massacre de chats noirs ! De la même façon, des numéros qui relèvent de la maltraitance envers les oiseaux n’ont pas leur place dans les fêtes médiévales. Soulignons également que celles-ci peuvent aussi évoluer : PAZ s’était fortement mobilisée en 2019 contre la venue de montreurs d’ours dans ces événements, poussant plusieurs Mairies à s’engager à ne plus programmer ce type de numéros. En 2023, les fêtes médiévales qui programment des numéros de montreurs d’ours se comptent sur les doigts de la main (la loi interdira définitivement ces spectacles fin 2023).

Encore de trop nombreuses fêtes médiévales programment des numéros de rapaces malgré toutes les souffrances qu’ils impliquent pour les animaux (vie en captivité, dressage, stress, transports éprouvants…). Heureusement, les mentalités évoluent. À l’étranger, la Ville de Liège a interdit, sauf dérogations, les exhibitions ou démonstrations d’oiseaux de proie en 202127. En France, la loi contre la maltraitance animale du 30 novembre 2021 a statué sur l’interdiction de ces spectacles en 2028. PAZ appelle les organisateurs de fêtes médiévales à ne pas attendre passivement l’entrée en vigueur de la loi et à se détourner, dès maintenant, de ce type de représentation.

Références

1 https://www.oiseaux.net/oiseaux/grand-duc.africain.html – Consulté le 2 août 2023.

2 https://twitter.com/ParisZoopolis/status/1681702941009367040

3 https://www.youtube.com/watch?v=zgt6aYiEUZc

4 https://www.oiseaux.net/oiseaux/pygargue.a.tete.blanche.html – Consulté le 8 août 2023.

5 https://www.oiseaux.net/dossiers/gilbert.blaising/la.chouette.effraie.html – Consulté le 2 août 2023.

6 Céline Petit, dresseuse à Géants du ciel, le dit dans une interview : https://www.youtube.com/watch?v=jVqsfsSZyZg

7 Site les Effaroucheurs du Ciel, page La Fauconnerie – Consulté le 2 août 2023

8 https://www.leberry.fr/chapelle-d-angillon-18380/actualites/une-petition-pour-empecher-un-dresseur-d-animaux-de-participer-aux-dixiemes-fetes-medievales-de-la-chapelle-d-angillon_14311052/

9 C’est le cas de certains rapaces, comme les chouettes effraies par exemple, qui pratiquent la chasse nocturne grâce à la finesse de leur ouïe5.

10 Vidéo « Le transport des rapaces de fauconnerie », de la compagnie Les Effaroucheurs du ciel : https://www.youtube.com/watch?v=2iqyqvIpVMg

11 https://ailes-urga.com/spectacles.html – Consulté le 2 août 2023.

12 https://actu.fr/normandie/cerisy-la-foret_50110/6e-edition-des-medievales-de-cerisy-la-foret-le-programme-heure-par-heure_59799064.html

13 https://www.20minutes.fr/planete/2589375-20190826-pyrenees-orientales-aigle-echappe-parc-animalier-retrouve

14 https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/avis-de-recherche-le-faucon-czongor-star-du-spectacle-de-chambord-est-porte-disparu_13814232/

15 https://www.bienpublic.com/culture-loisirs/2020/08/18/jurafaune-a-perdu-son-faucon-sacre

16 https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/indre-loire/une-ecole-de-fauconnerie-d-indre-et-loire-lance-un-appel-a-temoins-apres-la-disparition-d-un-faucon-2588408.html

17 https://www.ouest-france.fr/bretagne/echappe-du-puy-du-fou-depuis-plusieurs-semaines-un-rapace-recupere-dans-le-morbihan-268e19e6-02b4-11ed-af6b-c1de6dcf54b6

18 https://www.francebleu.fr/infos/insolite/ardeche-la-fete-medievale-de-saint-montant-a-perdu-son-faucon-1664877041

19 https://www.francebleu.fr/infos/insolite/dordogne-une-habitante-a-retrouve-rita-le-rapace-perdu-par-le-chateau-des-milandes-4915680

20 https://www.lessentiel.lu/fr/story/un-aigle-royal-a-plonge-sur-un-joggeur-887583337241

21 https://www.rtl.be/art/info/belgique/societe/un-joggeur-attaque-par-un-rapace-pres-de-bertem-168779.aspx

22 https://www.rtl.fr/actu/international/australie-un-aigle-tente-d-enlever-un-enfant-en-lui-agrippant-la-tete-7784086640

23 https://www.bfmtv.com/international/europe/belgique/un-enfant-blesse-au-visage-par-un-vautour-lors-d-un-spectacle-de-fauconnerie_AN-201607110088.html

24 La compagnie Falcon Temporis intervient dans différentes fêtes médiévales, par exemple à Liverdun ou à Bainville-aux-Miroirs.

25 https://www.mariages.net/animation-mariage/falcon-temporis-fauconnerie–e114707

26 https://www.iucnredlist.org/species/22695185/204974761 – Consulté le 2 août 2023. 

27 https://www.liege.be/fr/vivre-a-liege/bien-etre-animal/actualites/bien-etre-animal-et-manifestation – Consulté le 8 août 2023.